Une réforme non financée de l'impôt sur la fortune

Par Alain Trannoy, économiste, directeur d'étude à l'École des hautes études en sciences sociales
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Après un suspense insoutenable, nous connaissons désormais le scénario choisi pour la réforme de l'ISF, une exonération pour les patrimoines inférieurs à 1,3 million d'euros et une réduction substantielle d'un tiers, en moyenne, pour les patrimoines supérieurs à ce seuil. Le coût budgétaire de la réforme est important. En tenant compte de la suppression du bouclier fiscal, il reste à trouver au moins 1 milliard d'euros de recettes fiscales nouvelles pour financer la mesure. La démonstration est pour l'instant peu convaincante.

Le coût de la réforme pourrait être plus élevé que prévu, en raison de deux modifications introduites, l'une dans la déclaration de patrimoine, l'autre dans le calcul de l'impôt. Les contribuables dont le patrimoine est compris entre 1,3 million d'euros et 3 millions d'euros n'auront plus de déclaration d'ISF à remplir. Une simple déclaration de patrimoine dans leur déclaration de revenu suffira. Le calcul de la valeur de son propre patrimoine est toujours une opération délicate. Si l'on ne guide pas le contribuable, il est légitime de penser que ce changement constituera une incitation à sous-estimer la valeur du patrimoine pour les contribuables situés dans cette tranche. À cela, il faut ajouter les effets de seuil introduits par la réforme du barème. L'impôt passe brutalement aux alentours de 3 millions d'euros, de 7.500 euros à 15.000 euros. Le phénomène de lissage prévu ne fait qu'atténuer à la marge le phénomène. Il constitue de fait une puissante motivation à être particulièrement conservateur dans l'estimation de son patrimoine pour qui se situe aux alentours de ce seuil ou de celui de 1,3 million d'euros. Il est ainsi vraisemblable, au regard de ces deux phénomènes que les recettes de l'ISF n'atteignent pas le montant prévu par le gouvernement.

Du côté des recettes supplémentaires estimées, il se peut que le gouvernement pèche par optimisme. La seule recette immédiate provient du relèvement des droits de succession de 5 points sur les deux dernières tranches du barème. En appliquant cette mesure à ceux qui sont en ligne directe ou entre époux et partenaires, on obtient un gain de recettes de l'ordre de 200 millions d'euros, soit 20 % de la somme nécessaire au financement de la mesure. Le second changement annoncé concerne le rythme des donations en franchise de droits de succession. La loi Tepa avait raccourci le délai entre deux donations de 10 ans à 6 ans. Le président Sarkozy fait un pas en arrière, puisque l'on revient au régime antérieur. Sauf à appliquer la rétroactivité, on ne voit pas comment elle pourrait engendrer des recettes fiscales supplémentaires immédiates. Le mécanisme du rappel fiscal ne pourra concerner les donations intervenues entre 2007 et la loi de finances rectificative de juillet 2011 qui auront bénéficié du régime d'exemption instauré par la loi Tepa : à titre d'exemple, une donation en 2004, suivie d'une donation en 2010. En conséquence, l'estimation d'un gain de recettes supplémentaires de 450 millions d'euros dès l'année prochaine due à cette mesure semble surestimée.

Reste l'instauration d'une « exit tax ». Instaurée par Dominique Strauss-Kahn en 1998, elle avait été supprimée en 2005 à la suite d'une condamnation par Bruxelles. Même conforme au droit communautaire, le système nécessite de réviser toutes les conventions fiscales établies avec les pays étrangers, ce qui prendra du temps. Si le principe en est simple en situation de hausse des prix des actifs, il est plus complexe à mettre en oeuvre dans le cas contraire. À titre d'exemple, un actif acheté 100.000 euros est estimé 200.000 euros au moment où le contribuable émigre à l'étranger. Si ensuite notre contribuable décide de le vendre et que l'actif vaut plus de 200.000 euros, il sera imposé par le fisc français sur la plus-value constatée à sa sortie de France, en l'occurrence 100.000 euros. En revanche, si le bien ne vaut plus que 150.000 euros, la France et le pays de résidence de l'expatrié fiscal doivent se mettre d'accord pour « partager » la taxation de la plus-value de 50.000 euros. Au total, il faudra un certain temps pour aboutir au régime de croisière des 200 millions escomptés par Bercy.

Au demeurant, l'instauration simultanée de cette « exit tax » et de l'allégement de l'ISF comporte un élément logique contradictoire. La première ne rapporte que si beaucoup de contribuables quittent le territoire, c'est-à-dire, si on reste dans une logique d'ISF élevé. En revanche, l'allégement de l'ISF pour les contribuables très fortunés est censé freiner le mouvement d'expatriation fiscale. En d'autres termes, l'équilibre budgétaire de la réforme est attendu d'un impôt dont la base va être érodée par le changement de barème de l'ISF!

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