La France qui souffre est ailleurs

Par Eric Benhamou, éditorialiste à La Tribune
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Nicolas Sarkozy aime les usines. L'ambiance qui y règne, la solidarité entre les ouvriers, la mémoire d'une France industrielle et forte. C'est dans une usine que le chef de l'État a commencé en 2006 son offensive de charme à destination des « classes populaires ». Et c'est à Charleville-Mézières, ville ouvrière et sinistrée des Ardennes, que le candidat à la présidence de la République prononça son fameux discours « pour la France qui souffre » de décembre 2006, fondateur de toute sa campagne électorale. Il promettait alors de « rompre avec l'esprit de 68 » pour s'occuper enfin de cette France « dont on ne parle jamais », cette France qui se lève tôt, travaille dur pour boucler ses fins de mois, cette France enfin à qui s'adresse le célèbre slogan « Travailler plus pour gagner davantage ». Cette France, Nicolas Sarkozy la désigne. C'est la France des salariés de l'industrie, des cadres de 50 ans, des artisans, des agriculteurs, des pêcheurs. Bref, c'est la France « des classes populaires ».

Aujourd'hui, en panne dans les sondages et menacé sur sa droite par la montée du Front national, Nicolas Sarkozy revient à Charleville-Mézières pour adresser un nouveau signal politique à la France « d'en bas » désabusée. Les temps ont cependant changé et avril 2011 n'est plus décembre 2006. Le bouclier fiscal, la crise, la réforme des retraites, les affaires ont émoussé le « parler vrai » du président. Au programme de ce pèlerinage, pas de discours. Juste une visite dans une fonderie et une rencontre avec les ouvriers fondeurs. Ces ouvriers qui incarnent, selon Nicolas Sarkozy, la France laborieuse. Pourtant, la réalité est bien éloignée de ces images d'Épinal, comme si le chef de l'État s'était tout simplement trompé d'époque. La France « qui souffre » décrite par le discours de Charleville-Mézières ressemble en effet davantage à la France des années 1970 qu'à la France du XXIe siècle.

En trente ans, plus de 1,5 million d'emplois ont été perdus dans les industries de biens d'équipement ou près de 200.000 dans l'automobile. En revanche, le seul secteur du commerce de détail a gagné près de 550.000 emplois sur la période. L'économie de la France se « tertiarise » à grande vitesse, comme d'ailleurs dans la plupart des grandes économies modernes, États-Unis en tête. Cette transformation du marché du travail n'est pas neutre : les « bons » emplois, ceux des ouvriers qualifiés par exemple, protégés par des syndicats puissants et des accords collectifs négociés souvent à l'initiative de l'État, disparaissent au profit d'emplois peu qualifiés, précaires et aux salaires nettement inférieurs à ceux qui disparaissent.

Comme l'a récemment montré une étude de Pôle emploi et du Crédoc, l'essentiel des offres d'emplois représente des postes peu ou pas qualifiés. L'économie a surtout besoin d'agents d'entretien ou de sécurité, d'aides ménagères ou à domicile, de manutentionnaires, de caissières de supermarchés ou de personnels dans la restauration et l'hôtellerie, où l'activité saisonnière domine. C'est la France des femmes, souvent seules, des travailleurs immigrés, légaux ou non, des jeunes sans diplômes, des chômeurs en fin de droits. Cette mutation du marché du travail, qui participe au sentiment de déclassement des classes moyennes, au creusement des inégalités de revenus et à la défiance croissante à l'égard de la mondialisation, est silencieuse, seulement perceptible à travers des statistiques que personne ne consulte. Ces nouveaux salariés « modernes » représentent finalement cette France « dont on ne parle jamais », rarement invités dans les émissions télévisées et peu concernés par les débats sur le partage de la valeur ajoutée ou le projet de loi « prime contre dividende » réaffirmé par le chef de l'État comme gage d'une plus grande justice sociale. Tout le défi aujourd'hui, pour la France comme pour tous les pays « industrialisés », est de trouver des moyens nouveaux pour assurer à cette nouvelle force de travail les mêmes garanties que les ouvriers d'antan.

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