La nécessaire "invasion" de l'Italie

Depuis l'arrivée de 27.650 migrants du Maghreb sur ses côtes, Silvio Berlusconi et ses alliés xénophobes de la Ligue du Nord agitent le risque d'une "invasion massive" étrangère. Eux-mêmes régularisent toutefois trois fois plus d'étrangers. Car le pays a besoin de 350.000 immigrés par an pour maintenir sa population active.
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La cause serait entendue : l'Italie serait envahie par des boat people fuyant des pays récemment libérés d'un dictateur (la Tunisie) ou en proie à la guerre civile (la Libye). Le "Bel Paese" serait l'antichambre de l'Europe, elle-même menacée par une horde de migrants arabes et musulmans. Il n'y aurait finalement qu'une seule chose à faire : sceller les frontières extérieures de l'Union européenne (et parfois intérieures comme Paris l'a proposé) pour éviter une déferlante sur nos vingt-sept pays de l'UE. Le gouvernement de Silvio Berlusconi fournit bien volontiers un décompte des migrants débarqués sur les côtes italiennes depuis le début de cette année, en somme depuis les premiers effets des révolutions au Maghreb, en premier lieu en Tunisie. 23.589 migrants arrivés de Tunisie sur 372 bateaux, le plus souvent de fortune. De Libye sont arrivés 4.061 personnes sur dix-huit bateaux, selon le secrétaire d'Etat à l'Intérieur italien, Alfredo Mantovano.

Durant la même période de l'an dernier, à peine vingt-cinq personnes auraient débarqué de cette façon, selon le ministre de l'Intérieur Roberto Maroni, un des leaders du parti régionaliste et xénophobe de la Ligue du Nord.

Une invasion donc ? Loin de là. Ces 27.650 migrants de Tunisie et de Libye, pour la plupart de jeunes hommes tout à fait capables de travailler, représentent moins d'un tiers des migrants que le gouvernement de Silvio Berlusconi a décidé d'accueillir cette année !

La péninsule va en effet accorder, en 2011, 97.080 permis de travail à des ressortissants non européens, au titre de l'immigration légale. Début février ont déjà eu lieu les procédures de demandes via Internet, soit un de ces "click day" que les autorités italiennes affectionnent pour, en fait, régulariser des centaines de milliers d'immigrants irréguliers travaillant déjà dans la péninsule. Au premier jour, le 31 janvier, plus de 300.000 personnes avaient demandé par ordinateur à être ainsi régularisées, trois fois plus que le quota prévu.

Cette politique n'est pas nouvelle. Sous le gouvernement de gauche de Romano Prodi, 520.000 entrées régulières pour des ressortissants de pays hors UE avaient été autorisées pour la seule année 2006. Et sous le précédent exécutif dirigé par Silvio Berlusconi (2001-2006), la nouvelle législation sur l'entrée et le séjour des étrangers (la loi Bossi-Fini) déboucha sur la régularisation de 700.000 étrangers présents en Italie. De quoi fâcher le ministre français de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, parlant "d'appel d'air" ainsi créé en Europe.

On aurait pu croire que, sous l'actuelle férule du ministre de l'Intérieur, la demande de migrants aurait cesser. "Abbiammo fermato l'invasione" (dans le texte : "nous avons arrêté l'invasion") proclame en effet une de ces affiches de la Ligue du Nord, avec la photo d'un bateau accueillant une foule de migrants. Le nombre d'immigrants autorisés par an a certes un peu diminué (autour de 100.000) mais il reste important. "Le besoin de badanti [en fait des femmes, en général étrangères, prenant soin des personnes âgées italiennes à leur domicile] et de femmes de ménage est en hausse non seulement pour nos seniors mais aussi pour les familles des immigrés qui demandent l'arrivée de leurs concitoyens pour aider aux tâches ménagères en Italie", explique Pino Gulia, responsable immigration de l'association Acli.

Ces migrants arrivent toutefois en Italie non pas sur des bateaux de fortune, sur une île facilement circonscrite et sous le feu des caméras de télévision du monde entier. Ces migrants venant compenser un État providence défaillant (il n'y a pas d'assurance dépendance digne de ce nom en Italie) entrent en toute légalité en Italie avec un visa de tourisme le plus souvent. Ils y demeurent ensuite, presque sûrs d'être vite régularisés.

Durant la décennie 1999-2008 chaque année le nombre d'étrangers en Italie a augmenté de 350.000 personnes en moyenne » comme le rappelle le démographe Francesco C. Billari. Il précise que, pour maintenir la population active résidente en Italie au niveau actuel, il faudra maintenir leur entrée à ce rythme à moins de se résoudre à une réduction du nombre d'actifs dans la péninsule. Si le taux de fécondité italien s'est un tant soit peu relevé depuis son plus-bas de 1995 (1,19 enfant par femme), il est encore loin d'assurer le maintien duy niveau actuel de population. Mais alerter contre une "invasion" de migrants arabes et musulmans (et se plaindre du manque d'aide des partenaires européens) sert les intérêts électoraux de l'exécutif Berlusconi. "Le risque immigration aide Berlusconi et nous aide", a bien résumé fin février le leader de la Ligue du Nord, Umberto Bossi.

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