Chômage et vieillissement : tordre le cou aux idées reçues

Par Frédéric Gonand, économiste.
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En ce temps de Pâques, il est convenable de méditer sur des mea culpa. Celui du président du groupe PS à l'Assemblée nationale, M. Jean-Marc Ayrault, est enraciné sur le roc de la vérité économique : "l'emploi des seniors a servi de variable d'ajustement depuis plus de trente ans parce que l'on pensait que l'emploi des jeunes s'en trouverait amélioré ; c'est le contraire qui s'est produit." Cette déclaration faite avec dignité le 14 septembre dernier pendant le débat sur la réforme des retraites est parfaitement exacte. Elle tord utilement le cou à une idée répandue - à droite comme à gauche - selon laquelle des départs massifs à la retraite feraient baisser le chômage.

Cette idée répandue est une idée tordue. En premier lieu, les statistiques ne font apparaître aucun lien stable entre les évolutions de la population active et du chômage. Avant les années 1980, les variations du chômage étaient relativement faibles en France alors que la croissance de la population active était vigoureuse. Et, entre 1997 et 2008, le chômage a diminué, mais pas la population active.

Par ailleurs, comme le rappelle Jean-Marc Ayrault, aucun vase communicant entre l'emploi des seniors et l'emploi des jeunes n'a été observé depuis trente ans. De 1982 à la fin des années 1990, le taux de participation des 55-65 ans est passé de plus de 40% à moins de 30%. Une étude publiée en 2008 par l'Ecole d'économie de Paris note que le taux d'emploi des 20-24 ans a chuté de 50% à 25% sur la période. Et depuis dix ans, les taux d'emploi des seniors et des jeunes ont augmenté de concert.

Point de mystère derrière ces chiffres. Une hausse du volume de main-d'oeuvre fait naître une demande qui favorise en soi l'emploi. Si le marché du travail est flexible, des créations rapides de postes sont possibles et le chômage revient vite à son niveau initial. Des départs à la retraite massifs freinent la dynamique de la population active, certes, mais ils pèsent aussi sur la production de richesses, les revenus distribués, la demande et l'emploi. Au final, le chômage change peu. Les évolutions démographiques peuvent modifier transitoirement le chômage si elles sont rapides car l'ajustement de l'emploi n'est pas immédiat. Mais elles sont souvent lentes : leur influence sur le chômage d'un trimestre à l'autre est donc faible.

Par ailleurs, les études disponibles suggèrent qu'une hausse de l'âge de la retraite tend à favoriser une hausse du taux d'emploi des seniors. Plus la date de retraite est proche, moins l'investissement dans l'emploi des seniors (par la formation, les coûts de recrutement...), ou des seniors dans l'emploi, est rentable. La proximité de l'âge de la retraite déprime la demande et l'offre de travail des seniors. En revanche, une hausse de l'âge de la retraite favorise l'emploi des salariés âgés même si d'autres politiques d'accompagnement demeurent souhaitables.

Les idées tordues sur l'âge de la retraite et l'emploi ont longtemps inspiré des politiques économiques pousse-au-crime. Prendre l'emploi des seniors pour essayer de le donner aux jeunes, c'est un baiser de Judas qui tue la croissance et creuse les déficits. En partie parce que l'emploi des jeunes n'est pas celui des seniors : selon l'Insee, 45% des jeunes salariés ont un emploi de profession intermédiaire ou de cadre alors que les seniors ont plus souvent une activité indépendante. Les emplois des seniors ne sont pas toujours transmis à des jeunes et disparaissent assez souvent avec le départ en retraite. Ensuite, le sous-emploi des seniors limite le nombre de bras au travail dans l'économie : le Conseil d'analyse économique estime que la création de richesse s'en trouverait déprimée de 24 milliards d'euros (soit plus de 1 point de PIB). Enfin, le coût des préretraites pour les finances publiques aurait atteint un pic de ? 0,5% de PIB en 2002, selon le ministère de l'Economie : c'est cher pour un dispositif qui ne réduit pas le chômage.

En un mot, la quantité d'emplois n'est pas un gâteau à taille fixe qu'il faut partager avec les chômeurs. Les mauvais cuistots des 35 heures l'ont pourtant cru. Ils ressortent aujourd'hui un discours recuit en combattant la salutaire hausse de l'âge de départ à la retraite. On mesure ainsi l'antériorité et la nocivité des idées tordues qui rampent encore dans les recoins du débat économique. Quelques jours après Pâques, espérons qu'un peu de lumière économique les balayera.

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Commentaire 1
à écrit le 08/05/2013 à 13:48
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votre analyse est très exacte et pointue , elle fait mal a ceux qui pensent qu'il faut continuer ainsi et avec les emplois-generationnels voulu par notre président actuel , si on pouvait employer tous les jeunes avec de futurs retraités cela ce saura...

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