La dette grecque dans une impasse

La Grèce, sujet central de l'Ecofin demain, entre dans une nouvelle zone de turbulences. La seule option pour l'Europe et le FMI est de continuer à acheter du temps, en allongeant la durée des prêts. Mais les marchés continuent de croire en une restructuration de dettes que la situation actuelle rend impensable.
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La Grèce n'étant pas en mesure de faire face à ses besoins de financement à partir de 2012, vu l'état de son économie, ses difficultés à percevoir l'impôt et la faible probabilité de pouvoir faire appel au marché l'année prochaine, la restructuration de ses dettes paraît, en toute logique, inévitable. C'est en tout cas le pari que font les banques anglo-saxonnes, et leur grande presse, à commencer par le "Financial Times".

Seulement, si une réduction de la valeur des dettes ou, ce qui revient au même, un allongement de leur maturité apporterait une bonne bouffée d'oxygène à la Grèce, les effets secondaires d'un tel "haircut" pourraient bien rendre une restructuration rapide et brutale contre-productive.

D'abord, sur les 284 milliards d'euros de dettes de l'État grec à la fin septembre 2010, selon les dernières données publiées par la Banque des règlements internationaux, une partie non négligeable ne pourrait être restructurée : les 21 milliards prêtés par le FMI, les 40 à 45 milliards, selon les estimations, prêtés par la Banque centrale européenne, les 10 milliards de bons à très court terme qui servent aux opérations de trésorerie du Trésor grec, et pas plus sans doute les quelque 10 milliards détenus par la Banque de France et la Banque du Portugal, ou les 25 milliards détenus par les banques centrales asiatiques, à commencer par celle de la Chine.

La question porte sur l'effet d'une restructuration des quelque 190 milliards d'euros de dettes publiques grecques détenus par les banques, compagnies d'assurances et divers fonds de pension. Les banques étrangères, qui ensemble détiennent 28% des obligations d'Etat grecques, soit 53 milliards d'euros à fin septembre 2010, ont beaucoup à y perdre, même si les plus grands détenteurs, qui les comptabilisent à la fois en "trading book" (valeur de marché) et "banking book" (valeur faciale) restent volontairement flous sur l'impact réel qu'aurait une franche restructuration. A fin septembre, les banques françaises en détenaient encore 14,6 milliards, et les banques allemandes 19,3 milliards. Sachant que cette dette est assez concentrée dans quelques établissements, une restructuration risquerait-elle de déclencher un nouveau Lehman Brothers, comme l'avancent certains établissements ? Sans doute pas, mais elle pourrait leur coûter plusieurs trimestres de résultat, et différer le renforcement de leurs fonds propres exigé par la nouvelle réglementation de Bâle III.

Mais c'est sur les banques, et les citoyens grecs que les effets d'une restructuration seraient les plus dévastateurs. Les établissements bancaires, qui en détenaient 48 milliards à fin février, soit un bon quart, n'ont que 28 milliards de fonds propres, selon les données de Barclays Capital... Un "haircut" d'un peu plus de la moitié de la valeur de leurs dettes publiques lessiverait l'intégralité de leurs réserves, les plongerait dans une faillite immédiate, et imposerait à l'Etat un sauvetage sur le champ ! Un cercle vicieux donc, sur le mode irlandais, qui accroîtrait encore un peu plus les besoins de financement de l'Etat grec auprès de l'Europe. Sans compter que les banques grecques ne pourraient même plus escompter, après décote, leurs titres auprès de la BCE pour se refinancer. Ce serait donc l'arrêt du système bancaire hellénique. Mais ce n'est pas tout : les marchés anticipant immédiatement après un "haircut" pour l'Irlande et le Portugal, l'effet de contagion mettrait le feu à toute la zone euro.

Restent les 29 milliards gérés par la Banque de Grèce pour le compte de la sécurité sociale grecque et des fonds de pension du secteur public. Mais, après la baisse des salaires des fonctionnaires, quel gouvernement serait prêt à leur annoncer que leurs retraites ont été rayées d'un trait de plume ? Impensable.

"Voilà pourquoi, si la restructuration de la dette publique grecque est sans doute inévitable à terme, conclut l'économiste d'Oddo, Bruno Cavalier, une restructuration immédiate poserait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait." Pour autant, deux voies peuvent encore être explorées : augmenter les prêts à la hauteur de ses besoins de financement pour les deux prochaines années, à savoir pour 60 milliards d'euros, quitte à restructurer cette dette à l'issue de cette période, lorsque les risques de contagion se seront émoussés ; et accélérer les ventes d'actifs publics, sachant que les 50 milliards de privatisations d'ici à 2015 déjà annoncés ne représentent, selon les estimations du FMI, moins de 20% de ce qui pourrait être fait. Voilà qui permettrait, sinon d'éviter, du moins de différer le coup de hache annoncé par les Anglo-Saxons.

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