Et soudain, l'Amérique redécouvre l'industrie

Par Jacques Barraux, journaliste
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Au départ, une simple note de l'administration américaine à laquelle personne n'aurait prêté attention il y a dix ans. À l'arrivée, un débat public sur l'urgence d'un réveil du "made in USA". La note décrivait l'impossibilité d'appliquer la consigne de "buy american" dans un programme de construction de bâtiments de l'US Air Force en Alaska. Des ventilateurs aux tringles à rideaux en passant par les serviettes de toilette, les acheteurs de l'armée avaient constaté la quasi-disparition de 37 familles de produits autrefois fabriqués sur le sol américain.

 

Des tringles à rideaux "made in China", passe encore, mais dans les 57.000 usines américaines fermées entre 1999 et 2009, il y avait aussi des pépites. Des unités de fabrication de composants électroniques ou optiques, des forges et des fonderies de métaux spéciaux, des ateliers de construction de machines-outils... soit au total 13 secteurs manufacturiers en partie délocalisés sur les 16 répertoriés comme fournisseurs directs du Pentagone. En allongeant les chaînes de sous-traitance entre l'Amérique, le Japon, la Chine ou la Corée du Sud, les États-Unis ont assuré le triomphe des produits de masse d'Apple, Dell ou HP mais ils ont pris le risque de la dépendance en matière de technologie militaire. Et plus généralement, selon un rapport du "National Research Council", ils ont entraîné le pays dans une spirale d'affaiblissement de ses ressources en recherche et développement. Certes, les sous-traitants asiatiques travaillent et échangent en temps réel avec leurs donneurs d'ordre américains, mais en électronique, en chimie fine ou en métallurgie, la frontière entre l'immatériel et le matériel est devenue si mince que le renoncement à la fabrication entraîne ipso facto une perte de savoir-faire dans la manipulation du "réel".

 

Coïncidence ? L'avertissement du complexe militaro-industriel intervient au moment où le pays semble soulevé par une vague en faveur de la réindustrialisation. General Motors, Ford, Pratt & Whitney, General Electric, Caterpillar et même Volkswagen, qui met en route son usine géante de la région de Nashville, expliquent en boucle sur les médias pourquoi ils ont recommencé à investir sur le sol des États-Unis. Ils font référence à l'étude du Boston Consulting Group sur la "Renaissance du manufacturing américain".

Pour Hal Sirkin, auteur de l'étude BCG, les paramètres de la mondialisation ont changé. Le retour de l'inflation marque l'entrée dans un nouveau cycle de l'économie mondiale. En Chine où le rythme de croissance ne faiblit pas, les salaires augmentent inexorablement dans les usines des régions côtières. L'écart des coûts entre une usine du delta du Yangtsé et une usine du Mississipi se resserre d'année en année. En 2010, un technicien chinois de la région de Shanghai gagnait 48 % du salaire d'un Américain de région pauvre. En 2015, il en gagnera près de 70 %. Cela modifie les règles de l'arbitrage en faveur ou non d'une décision de délocalisation. En intégrant les coûts logistiques, le handicap des distances géographiques, les problèmes de propriété industrielle, les difficultés de communication entre les équipes, l'investissement offshore n'obéit plus qu'au seul et légitime critère de la proximité d'un marché de croissance. L'argument du coût du travail perd de sa force. L'Amérique du Nord retrouve des arguments avec sa démographie active, la productivité de ses usines et la flexibilité de sa force de travail. Au moment où la France entre en campagne présidentielle, l'expérience américaine sera une source d'inspiration précieuse pour tous ceux qui rêvent de réveiller le génie industriel d'un pays qui a perdu 700.000 emplois manufacturiers en deux quinquennats.

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