Malick et les mystères de son "Arbre de vie"

Par Sophie Peters, éditorialiste à la Tribune
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Le cinéma ou le théâtre contemporain ont l'art et la manière de nous tendre le miroir de notre époque. Que le film de Terrence Malick "The Tree of Life" ait été récompensé par la palme d'or à Cannes en dit long sur notre crise existentielle. Depuis sa consécration et sa sortie en salles, il oppose critiques et spectateurs. Rien d'étonnant. Comme tout grand film, il divise. On se souvient des commentaires peu amènes qui prévalaient à la sortie de "2001, l'Odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick. Ces longs-métrages cherchent à un instant T à éveiller les consciences, cet éveil cher à beaucoup d'intellectuels aujourd'hui. Or, ce que la plupart des critiques ne disent pas et qui pourtant reste essentiel pour en saisir la portée c'est que "The Tree of Life" ("l'Arbre de vie" représentant dans la Kabbale les lois de l'Univers) fait écho au Livre de Job, cette partie de l'Ancien Testament où Job est frappé par le malheur à l'improviste et où il est question du scandale de la souffrance qui frappe le juste. "Il n'est pas de pensée sur le qui-vive qui n'ait eu un jour le souci de Job", écrit Pierre Assouline dans son dernier roman "Vies de Job". S'il nous est proche, nous dit le romancier, c'est "qu'il nous dit que nous sommes et ce que nous sommes".

 

On comprend dès lors ce qui a attiré Terrence Malick, philosophe et traducteur d'Heidegger, chez Job : une réflexion sur la souffrance des hommes dont le but n'est pas d'en expliquer l'énigme, ni de résoudre le problème du mal, mais de lui donner une résonance juste. Montrer aussi qu'il n'y a pas ici-bas, et comme on souhaiterait y prétendre, une relation nécessaire entre la vertu et le bonheur mais que l'épreuve a une vertu éducatrice et bienfaisante. Telle une longue prière filmique qui touche à la philosophie de l'existence, l'oeuvre de Malick nous offre, deux heures durant, une ligne de fuite à notre habituelle panoplie commerciale, nous invite à la réflexion, sorte d'arrêt sur image désintéressé, « sans intérêt », diront du coup certains.

 

"Malick a un sens spirituel mais "The Tree of Life" est universel" a déclaré Brad Pitt lors de la conférence de presse. Pourquoi universel ? Parce qu'il questionne la vie et la mort, l'histoire de l'Univers mais aussi celle des humains pris dans des douleurs et des angoisses inextricables, il parle de nous. Du pourquoi nous cherchons à tout prix un sens à nos existences matérialisées et rythmées comme du papier à musique. Il nous renvoie à la crise financière, au drame de Fukushima, mêlant inconscience des hommes et colère de la nature, nous enjoignant à l'humilité et au lâcher prise, au deuil de ne pouvoir tout maîtriser et tout sauvegarder. En ce sens, il porte un regard plein d'acuité sur notre impuissance à l'heure où chacun cherche à prouver sa puissance et imposer son pouvoir sur les événements et les êtres. Ainsi Sean Penn, le fils de Brad Pitt, devenu adulte, incarne-t-il un New-Yorkais qui a réussi mais continue d'errer dans son questionnement intérieur.

Ce n'est donc pas tant de big bang, de dame nature ou de religion dont il est au fond question ici mais de spiritualité, de compassion et d'empathie, de ce qui relie les êtres humains entre eux et à la Terre. C'est une fenêtre qui s'ouvre sur notre monde d'aujourd'hui pour tenter non pas d'en percer la compréhension mais d'y trouver une acceptation... sans fatalisme aucun. L'enjeu est de trouver ce qui prime sur le sort des êtres humains, seule façon de changer, modifier ce qui est. À l'heure où, dans les entreprises comme dans la société, on s'interroge sur le vivre ensemble, voilà un rappel à propos sur l'importance de créer l'harmonie à l'intérieur de soi avant de maudire le manque d'harmonie chez les autres et dans le monde.

 

Bien vivre avec les autres, c'est changer de programmation mentale. Par sa narration décentrée, Malick nous y enjoint. Au même titre que Job, et pour reprendre la formule d'Assouline, il fait d'un problème un mystère. Cette part de mystère que nous avons encore à apprivoiser dans notre course bavarde à la compréhension du monde.

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