Medicare ou Mediscare : quand l'Amérique euthanasie ses vieux

Depuis plusieurs semaines, les démocrates multiplient les attaques contre le projet de réforme de l'assurance santé des personnes âgées défendu par les républicains. De nombreux Américains redoutent désormais de perdre leur couverture sociale.
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Malmenés par la persistance des difficultés économiques et en petite forme dans les sondages, les démocrates pensent avoir trouvé le talon d'Achille de leurs adversaires républicains : leur projet de réforme de Medicare, l'assurance santé des personnes âgées. Car si l'opinion publique ne s'oppose pas sur le principe à une réduction des dépenses publiques, elle rejette massivement des modifications drastiques de Medicare. Les démocrates l'ont bien compris et concentrent depuis plusieurs semaines leurs attaques sur ce thème. Et attisent surtout les craintes des Américains de voir disparaître l'un des seuls avantages sociaux dont ils bénéficient. Une tactique, que les médias ont rebaptisée "Mediscare", qui agace autant les républicains qu'elle les inquiète. Selon un sondage récent réalisé par CNN, 58 % des Américains se disent défavorables à leurs propositions. Plus inquiétant encore : 54 % des conservateurs, qui constituent leur électorat traditionnel, s'y opposent.

 

Reçu la semaine passée à la Maison-Blanche, Paul Ryan, le président républicain de la commission du Budget à la Chambre des représentants et auteur du projet, n'a dès lors pas hésité à interpeller Barack Obama. "Arrêtez la démagogie", lui a-t-il dit. Car cette passe d'armes entre les deux camps a pris une tournure encore plus dramatique depuis la défaite surprise des républicains il y a deux semaines, lors de l'élection du représentant du 26e district de l'État de New York. Pour les observateurs politiques et pour les sondages, l'issue ne faisait aucun doute : la candidate républicaine Jane Corwin se dirigeait vers une victoire facile dans cette circonscription historiquement favorable à son parti. Mais voilà, le mardi 24 mai au soir, c'est son adversaire démocrate, Kathy Hochul, qui a triomphé. Comment ? "En déformant la réalité des débats pour effrayer les personnes âgées", juge Paul Ryan. Autrement dit, en mettant en application le désormais fameux « Mediscare ».

Dans un contexte de crise budgétaire - la dette publique américaine s'élève déjà à 14.300 milliards de dollars -, le "Grand Old Party" préconise des changements radicaux de l'assurance santé des personnes âgées, qui s'apparentent de fait à une privatisation progressive. Ce système mis en place en 1965 coûte cher à l'État, trop cher, expliquent-ils. Et ses coûts sont amenés à grimper avec le vieillissement attendu de la population : de 400 milliards de dollars l'an passé, ils pourraient dépasser les 500 milliards dans cinq ans. Aujourd'hui, 48 millions de personnes en bénéficient. Elles seront 73 millions en 2025. "Tout le monde sait que nous ne pouvons pas continuer sur la même voie", a lancé en avril Paul Ryan après avoir rendu publiques ses pistes de réforme, dans le cadre d'un vaste plan visant à réduire de près de 6.000 milliards de dollars les dépenses publiques au cours des dix prochaines années.

Le projet républicain prévoit notamment de relever l'âge d'éligibilité au programme à 67 ans d'ici à 2033. À compter de 2022, les Américains dépassant les 65 ans ne bénéficieraient en outre plus d'une couverture quasi intégrale de leurs frais médicaux, mais simplement de subventions afin de leur permettre de souscrire à une assurance privée. En moyenne 8.000 dollars par an selon les estimations du Congressional Budget Office (CBO), l'organisme bipartisan du Congrès spécialiste des questions budgétaires. Autant dire pas grand-chose dans un pays où le coût des polices d'assurance est exorbitant. "La majorité des personnes âgées devraient dépenser plus d'argent pour leur santé qu'avec le système actuel", anticipe ainsi le CBO. Une prévision qui alimente allègrement l'argumentaire des démocrates.

 

Ce projet de réforme a symboliquement été adopté par la Chambre des représentants, contrôlée par les républicains. Avant d'être nettement rejeté par le Sénat, aux mains de leurs adversaires politiques. Alors que les deux partis négocient toujours à Washington un compromis sur les questions budgétaires, le sort de Medicare cristallise les antagonistes. "Nous ne voterons jamais ce plan visant à démanteler Medicare, seul ou inclus dans un accord plus large", ont fait savoir lundi les sénateurs démocrates dans une lettre adressée au vice-président Joe Biden, chargé par Barack Obama de faire avancer les discussions. Pour défendre leur position, ils pourront s'appuyer sur le diagnostic de Paul Krugman. "Oui, Medicare est soutenable dans sa forme actuelle", écrivait récemment le Prix Nobel d'économie 2008 dans le "New York Times". Avant d'ajouter : "Le futur de Medicare s'appelle Medicare - plus intelligent, moins ouvert mais pas si différent."

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