FMI : pourquoi faire donner Lagarde ?

Par Michel Henry Bouchet  |   |  704  mots
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Par Michel Henry Bouchet, SKEMA Business School Nice - Sophia Antipolis

Christine Lagarde manque peut-être de certaines compétences économiques nécessaires pour présenter une candidature pleinement autorisée au poste de directeur général du FMI. Il ne suffit pas de parler anglais avec un fort accent anglo-saxon, ni d'avoir été ministre des Finances après un parcours de juriste en fusions-acquisitions, ni d'avoir coordonné plutôt bien les sommets financiers internationaux dans le contexte de la crise des subprimes puis de la déroute financière en Europe, ni même d'être une femme.

 

Son principal atout aujourd'hui est d'être française. Car l'enjeu est d'abord de solder l'affaire DSK, tout comme la France envoya d'urgence, à Londres en 1993, Jacques de La Rosière pour solder la calamiteuse gestion de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) sous la présidence d'Attali.

À l'époque, Attali n'était accusé d'avoir violé quiconque, si ce n'est les règles de bonne gouvernance et de bonne gestion. Établie dès le printemps 1991 pour soutenir la transition socio-économique en Europe de l'Est fraîchement libérée de l'emprise soviétique, la Berd se trouva très vite discréditée par la personnalité arrogante de son premier président, l'opacité de sa gestion, et des dépenses très éloignées de son mandat prioritaire : encourager le développement de la démocratie et du développement durable, en finançant prioritairement des projets émanant du secteur privé.

Une campagne de presse virulente, lancée par le "Financial Times", a mis en lumière ces dysfonctionnements majeurs. L'affaire des jets privés et du marbre de Carrare, dans le hall de l'institution, et l'autisme irresponsable d'Attali finirent par exaspérer les actionnaires, au premier chef les Anglo-Saxons, principaux actionnaires, qui exigèrent la démission du Français qui retraversa précipitamment la Manche. Sa démission scandale en été 1993 affecta cruellement la crédibilité de la France qui ne garda in extremis la présidence de la nouvelle institution qu'en dépêchant un technocrate de haut vol, à la rigueur toute wébérienne : Jacques de La Rosière quitta la Banque de France pour reconstruire la légitimité de l'institution face au personnel, aux actionnaires et à ses clients européens.

1991-2011 : la France est de nouveau discréditée par le comportement délétère de son mandataire au FMI. La mission du Fonds dans des pays en difficulté socio- économique et financière est pourtant toujours liée à une certaine forme d'austérité, de discipline et de transparence. L'article premier de sa charte stipule que la mission prioritaire est de "donner confiance à ses membres". Le Fonds encourage les pays auxquels il prête assistance à vivre au niveau de leurs moyens. Juste à ce niveau, sans excès et donc sans déficit. Le contraire de l'hybris. L'antithèse du nouveau riche, en quelque sorte. L'antithèse du flambeur.

La mission du FMI est bien aux antipodes des manières de son dernier directeur général qui clôt sur un scandale soixante ans de monopole européen. Il faut voir cette fin lamentable comme un raccourci du déclin de la légitimité politique et culturelle de l'Europe. L'Europe a produit des concepts à usage universel depuis les Grecs jusqu'aux Lumières : démocratie, droits de l'homme et humanisme, destinée et métaphysique... Elle a été exemplaire à plus d'un titre.

L'heure n'est plus aux leçons mais à la modestie. Dans sa lettre de candidature datée du 25 mai 2011, Mme Lagarde relève avec justesse que "la légitimité et l'efficacité du FMI ne peuvent être tenues pour acquis et doivent être renforcées en permanence". Une bonne élocution, un sens de la repartie, une certaine froideur technocratique, un port altier utile pour les conférences, et une réelle capacité de travail devraient fermer aussitôt que possible la parenthèse DSK et faciliter la transition au futur directeur, selon toute vraisemblance, mexicain, brésilien ou malaisien. L'Europe devra désormais tenir son rang, juste son rang, dans une globalisation où les règles du jeu sont de plus en plus entre les mains de pays émergents, jeunes, dynamiques, puissants et exigeants.