L'avenir est aux utopies maîtrisées

Par Sophie Péters, éditorialiste à La Tribune.
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Alors que s'ouvrent cette semaine les états généraux de l'économie sociale et solidaire dans un lieu hautement symbolique - le palais Brongniart - et que la bataille fait rage sur le front du RSA, il est temps de sortir de nos logiques binaires, plus d'Etat à gauche et plus de marché à droite. Une grille de lecture qui nous empêche de voir ceux qui, dès hier, se sont engagés dans la troisième voie, celle qui intègre les citoyens comme acteurs à part entière de l'économie. Beaucoup voient encore dans l'émergence de cette société civile puissante et active de la naïveté quand ce n'est pas de l'utopie. Et pourtant. L'histoire de la société Microdon résume bien ce qui, demain, pourrait modifier les mentalités.

"C'est l'histoire d'un mec", comme dirait Coluche... un trentenaire qui met ses qualités d'entrepreneur et ses diplômes au service de la résolution d'un problème social et qui se donne comme critère de réussite l'ampleur de son impact sur la société. Pierre-Emmanuel Grange découvre un jour dans un supermarché au Mexique la pratique du "Redondeo", l'arrondissement au chiffre supérieur des centimes de son ticket de caisse, montant destiné à une oeuvre de charité, en l'occurrence l'ONG Antad qui équipe en informatique les écoles. Séduit par cette mécanique de financement philanthropique, il rentre en France pour développer ce système.

Depuis quatre ans, il avance doucement mais sûrement avec l'appui de PlaNet Finance mais sans, pour l'instant, réussir à convaincre la grande distribution. Il a lancé Microdon, une carte de 2 euros ou plus, disponible aux caisses des supermarchés lors d'actions locales avec le département des Yvelines. Mais surtout, il a développé un dispositif innovant, "l'arrondi solidaire", dont la mécanique consiste à reverser à des associations les centimes du net à payer de la feuille de paye, avec abondement de l'entreprise aux dons des salariés. Eutelstat et ADP, spécialiste de la gestion de paye, l'ont mis en place, un grand de l'agroalimentaire étudie le dossier.

Pas simple de convaincre en France. "Les gens estiment qu'ils donnent à l'État pour faire ce qu'il faut et sont submergés par les taxes", note Pierre-Emmanuel Grange. Il est de ceux qui pensent que la société civile doit prendre le relais de l'État providence pour mettre en oeuvre ce qui peut aider la collectivité. Les gains de son "arrondi solidaire" vont ainsi à la création d'emplois au travers d'une cosolidarité entreprise et employé. En Grande-Bretagne, ce système existe dans la distribution sous le nom de "Give change make change". Mis en place chez Pizza Domino en novembre 2010, il a récolté 120.000 euros via 420.000 donateurs. Dans le cadre de son projet de "Big Society", le gouvernement britannique est engagé dans une démarche visant à favoriser le don sous toutes ses formes. Un livre blanc vient d'être présenté le mois dernier au parlement avant la promulgation de lois. Cela s'appelle créer un "nouveau compromis social qui place le citoyen au coeur du modèle économique", comme le soulignent Hugues Sibille et Tarik Ghezali dans leur ouvrage "Démocratiser l'économie" (Grasset).

Le vice-président du Crédit Coopératif et le délégué général du Mouvement des entrepreneurs sociaux veulent croire à "un individualisme humaniste" qui permette d'être attaché à la solidarité collective sans que cela empêche de défendre la liberté individuelle, l'initiative privée et la réussite personnelle. En France, Microdon est un alpiniste de l'économie. Il ouvre une voie. C'est le premier acteur de ce qu'on appelle outre-Atlantique "l'embedded giving", c'est-à-dire la générosité embarquée, ou comment greffer une opportunité de générosité dans un acte du quotidien.

Pierre-Emmanuel Lagrange n'est pas un utopiste. Il a repéré dans les études prospectives que, parmi les grandes tendances des dix prochaines années, la philanthropie occupe la première place. Preuve qu'il y a dans la société civile active une espérance et un optimisme, une utopie réaliste, encore étrangère aux décideurs et aux médias, mais capable de changer la donne. Et qu'illustre à merveille la formule de Mark Twain : "Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait."

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