Grèce : quand la sécurité prime la justice

La Tribune a réalisé l'interview exclusive et imaginaire de Monsieur Squire, ministre putatif des finances de l'eurozone, au sujet de la participation des banques et des compagnies d'assurance au nouveau plan de sauvetage de la Grèce. Celui-ci devrait atteindre, comme le premier, environ 110 milliards d'euros.
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Monsieur Squire, vous avez beaucoup insisté sur le fait que la participation des créanciers privés au sauvetage de la Grèce doit être volontaire et non obligatoire. Pourquoi ?

Je n'ai pas été le seul à le faire. Le président de la BCE, Monsieur Trichet, ainsi que Monsieur Juncker en ont fait une question de principe. La raison en est très simple : si cette participation était obligatoire, cela signifierait que la Grèce est en situation de défaut de paiement. Un défaut grec constituerait ce que l'on appelle un évènement de crédit et créerait un choc systémique susceptible de dégénérer en second Lehman.

Mais si l'on annonce très clairement, dès le début, que cette participation sera limitée à, mettons, 20 ou 30 % des créances, qu'elle sera étalée dans le temps, que ce n'est donc pas un défaut complet, n'est-il pas possible de limiter le risque ?

C'est tout de même un évènement systémique.

Qu'est ce qui vous permet d'en être certain ?

Le fait justement que nous ne sommes pas certains des réactions du marché et du risque de déclenchement des contrats d'assurance contre un défaut (CDS).

C'est en quelque sorte cette incertitude qui est votre certitude ?

Je préfère dire que si nous refusons le principe d'une parti- cipation obligatoire, c'est à cause des conséquences possibles et incertaines de cette participation.

Et non pas parce qu'elle serait justifiée ou injustifiée ?

En effet.

Pensez vous néanmoins, que dans l'absolu, il est juste qu'une institution prêtant de l'argent contre intérêt à un ménage, une entreprise ou un État assume elle-même les conséquences d'un éventuel défaut de cet emprunteur ?

Je n'aime pas raisonner dans l'absolu. Mais pour les besoins de notre entretien, je veux bien vous répondre qu'en effet, il est normal qu'un créancier assume le risque. Naturellement.

Et vous recommandez cependant de faire une exception au bénéfice des créanciers privés de la Grèce : ils seront donc remboursés aux frais du contribuable européen via les prêts de la zone euro et du FMI, lesquels reprendront à leur charge le risque d'insolvabilité ?

Je pensais avoir été clair.

La solution juste est donc ici évincée par la solution sûre. La sécurité prime-t-elle la justice ?

La question n'est pas de savoir ici ce qui est juste ou non. C'est d'éviter un second Lehman.

Pardonnez-moi, Monsieur Squire, mais la situation n'est-elle pas choquante au plan moral et embarrassante politiquement ?

Je vous laisse juge. Cette situation est en tout cas bien connue des économistes qui l'appellent l'aléa moral.

De quoi s'agit-il ?

Si l'on suit les exégètes d'Adam Smith, il s'agit d'une situation où « un agent, isolé d'un risque, se comporte différemment que s'il était totalement lui-même exposé au risque ».

Cela rappelle fortement la situation du secteur bancaire jusqu'à la faillite de Lehman Brothers...

Nous avons en effet affaire à une situation systémique comparable. D'où l'importance de se limiter à une participation volontaire et non obligatoire des créanciers privés.

Pouvez-vous dire comment les Trésors européens tentent de convaincre ces créanciers privés d'assumer volontairement un risque auquel ils ne sont pas totalement exposés, du fait de cet aléa moral sur lequel vous venez de nous éclairer?

Ne me demandez pas de révéler les secrets de la négociation.

Si toutefois, comme vous en conveniez à l'instant, l'insécurité fait ici obstacle au principe de justice à cause de l'ampleur du risque, votre priorité d'homme politique ne devrait-elle pas être de rétablir la sécurité?

Tout cela est très théorique.

Mais n'aviez-vous pas dit en 2008 que les contribuables ne paieraient pas une seconde fois, qu'il fallait que cela change ?

Ce ne sont pas des choses que l'on change facilement.

Est-ce à dire que l'aléa moral est enraciné dans le système ?

La question est superflue. Un tel jugement ne nous aide pas tellement dans la résolution du problème.

Le problème est donc la gestion des conséquences de l'aléa moral, pas l'aléa moral lui-même ?

Dans l'immédiat, en effet.

Et par la suite ?

La suite attendra.

Monsieur Squire, merci pour cet entretien.

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