Fraude fiscale : la nécessaire proportionnalité des réponses

Par Philippe Portier
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Chacun se souviendra de l'émotion que créa il y a quelques mois l'entrée surprise de LVMH au capital d'Hermès. Du jour au lendemain, environ 15 % du capital de cette maison familiale - mais cotée en Bourse - avait changé de mains, ce que des achats progressifs sur le marché auraient révélé dès le seuil de 5 % franchi. Immédiatement, l'imprévu n'étant pas jugé acceptable dans notre société de transparence et de sécurité, notre législation fut mise en cause. Celle-ci impose la déclaration de seuils effectivement franchis (pour faire simple). Dès lors, elle en dispense les titulaires d'instruments financiers dérivés qui ne donnent pas lieu à livraison effective des actions sur lesquelles ils portent (les sous-jacents) et ne prévoit que le règlement d'un différentiel en numéraire. En l'espèce, des « equity swaps », à vocation en principe purement financière : la spéculation sur le cours d'un titre, sans en devenir propriétaire. Règle logique a priori car pourquoi déclarer un seuil qui n'a pas vocation à être franchi ? L'affaire Hermès a, en réalité, posé une autre question. En l'espèce, les modalités des swaps ont été modifiées en cours de route, pour permettre ce qui n'était pas contractuellement prévu, la livraison des titres. La déclaration de franchissement de seuil s'ensuivit, mais tardivement au goût de certains. Le juriste analysera rapidement le sujet de la manière suivante : une règle de droit fut-elle violée ? Dans le cas contraire, fut-elle contournée frauduleusement ? Sur le premier point, la réponse est négative, puisque ni le gouvernement, ni le Parlement ne choisirent, en 2009, de retenir les conclusions du rapport Field d'octobre 2008, préconisant d'assimiler aux participations détenues dans une société les instruments financiers à terme à dénouement monétaire, ne procurant qu'une « exposition économique » aux actions d'un émetteur. Alors, y eut-il fraude ? En d'autres termes, la modification des termes du swap était-elle prévue de longue date, voire ab initio ? Il appartiendrait le cas échéant à l'AMF ou aux tribunaux de le prouver. Comme cela fut le cas en 2007 en Italie dans un cas similaire concernant Fiat (une sanction de 5 millions d'euros fut prononcée par la Consob). Ou tout récemment en France, dans un cas assez proche, concernant Saint-Gobain (sanction de 1,5 million d'euros imposée par l'AMF). Mais sans attendre, l'AMF saisit l'occasion de cette affaire pour relancer la préconisation du rapport Field d'imposer la transparence non plus seulement des intérêts capitalistiques stricto sensu, mais des « expositions économiques ». Toujours plus de transparence donc. Mais pour quoi faire ? Ne doit-on pas s'interroger sur la pertinence d'une méthode consistant à légiférer à chaque fois qu'un cas de fraude aux lois existantes est allégué, voire constaté, alors même que l'arsenal répressif des tribunaux ou des autorités administratives indépendantes est adapté et rodé ? Ne peut-on y voir la manifestation désormais récurrente d'une fuite en avant normative, consistant à brandir les lois et règlements de manière de plus en plus coercitive et étroite, pour combattre les fraudes et les abus, mais aussi les risques de tous ordres, au nom du principe de précaution ? Et les aléas de la vie, au nom du principe de prévention ? Il suffirait donc d'un cas - purement hypothétique - de fraude, médiatique et donc caricaturé (un capitaine d'industrie s'en prend à un fleuron familial !), et l'on obligerait à la transparence une multitude d'opérateurs privés, « économiquement exposés » aux marchés financiers par le biais d'instruments dérivés, qui ne reçoivent et ne recevront jamais en nature le sous-jacent de ceux-ci. Et fi des éventuels dommages induits. Comme en témoignent dans un autre registre les règles de déductibilité des intérêts d'emprunts des entreprises sous-capitalisées, modifiées cette année pour lutter contre des épiphénomènes d'abus de droit, mais sanctionnant au passage une multitude de groupes d'entreprises, victimes collatérales d'armes de destruction massive. Alors que des frappes chirurgicales, du fisc et des tribunaux, seraient adaptées. Il est naturel de lutter contre la fraude et l'abus, mais la réponse doit être proportionnée ; une loi, dont la vocation se doit d'être générale, ne peut être la bonne réponse à quelques phénomènes isolés si elle risque d'appréhender, en les contraignant ou en les stigmatisant, les comportements légitimes d'acteurs sains.

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