Le grand emprunt reste à faire

Par Alain Grandjean, économiste, ancien membre de la Commission pour le grand emprunt.
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A l'heure où le président de la république revient sur le bilan du grand emprunt, osons commencer par une note positive : financer l'avenir était en soi une excellente idée.

Suite à la crise financière et à la récession, les gouvernements ont effectué un pas de deux singulier qui consistait à relancer l'économie, puis à mettre le pied sur le frein budgétaire face au spectre de la dette et des agences de notation. L'intuition du grand emprunt visait à se placer dans une perspective de plus long terme. Le jeu de yo-yo macroéconomique ne devait pas remettre en cause la capacité de la France à préparer l'avenir. Lutter contre le déficit est dangereux si on ne prépare pas notre pays à la transition énergétique et à l'économie de la connaissance, ou si on ne s'attaque pas à la crise profonde et sous-estimée du logement.

 

Atteindre ces objectifs mobilise bien sûr autant des actes individuels que l'outil réglementaire ou l'incitation fiscale, mais passe aussi par un programme massif d'investissements. La création d'infrastructures matérielles et immatérielles est en effet une condition nécessaire pour changer de trajectoire et permettre aux particuliers et aux entreprises de s'adapter. On ne diminuera pas de façon substantielle notre consommation d'énergie, qui met en risque notre économie et plombe notre balance commerciale, si l'urbanisme, les infrastructures de logement et de transport, nos modèles agricoles... nous maintiennent dans la dépendance au pétrole et au gaz. On ne peut pas vouloir être un pôle d'innovation et de compétitivité sans commencer par porter l'effort national de recherche aux fameux 3 % du PIB.

 

D'une manière pas toujours homogène, ces objectifs comptaient parmi les motivations du grand emprunt. Et pourtant, c'est un échec principalement parce que, passant de 100 à 35 milliards d'euros, l'enveloppe consacrée a fini par se réduire à une peau de chagrin. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il a été décidé de le contracter auprès des marchés financiers. Ces derniers ne prêtent pas gratuitement et demandent un taux d'intérêt qui vient alourdir la charge annuelle de la dette, qui atteint 45 milliards d'euros aujourd'hui. Du fait de la crise financière européenne et d'une croissance molle, elle va encore s'accroître. Les agences de notation américaines ou chinoises s'en inquiètent et menacent la France de lui faire perdre son Saint-Graal absolu qu'est le triple A. Ayant été membre de la commission du grand emprunt, j'ai pu mesurer de façon quasi physique la pression des marchés financiers qui, au fil des semaines, s'installait dans la tête des « budgétaires » et nous faisait petit à petit renoncer à la réelle ambition de ce projet.

 

Il est pourtant possible de faire autrement. En créant une agence d'investissements financée par une banque publique qui se refinancerait à la Banque centrale européenne à taux nul ou très faible. Cela s'appelle monétiser la dette et cette opération a été mobilisée en Europe pour sauver les banques. La Réserve fédérale américaine (Fed) a eu recours au « quantitative easing ». Mais notre proposition est économiquement bien mieux fondée et sans risque inflationniste : la monétisation alimente l'économie réelle et non les bulles financières. Par ailleurs, la réduction de l'effet de levier en cours, du fait des nouvelles règles prudentielles, limitera la création monétaire privée. Si elle était insuffisante, il faudrait procéder à un durcissement et un encadrement plus strict de la finance de marché.

Cette option paraîtra farfelue à certains - un financement quasi gratuit alors que, selon l'adage, dans la vie rien n'est gratuit. Mais c'est évidemment faux pour la création monétaire qui se fait d'un simple jeu d'écriture. Sortons des ornières monétaristes que l'on s'est imposées depuis trente ans et de la logique qui nous conduit à la multiplication des crises financières. Et comprenons qu'il est pour le moins légitime de transférer le bénéfice de la création monétaire des acteurs financiers à la puissance publique, garante de l'intérêt général. C'est ainsi seulement qu'on pourra financer des investissements socialement et écologiquement justifiés, rentables économiquement, mais insuffisamment face aux rendements exigés par les marchés. Nous pouvons et devons, je pèse mes mots, financer une partie de notre avenir de façon quasi gratuite.

Il est plus que temps que l'avenir de nos sociétés ne dépende plus de l'humeur voire des diktats des marchés financiers.

 

En savoir plus sur : www.financerlavenir.fnh.org

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