L'erreur fatale de la Banque centrale européenne

Par Par Florin Aftalion, professeur émérite à l'Essec  |   |  788  mots
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En achetant, pour un montant considérable de 190 milliards d'euros, de la dette grecque, la Banque centrale européenne a commis une lourde erreur. Ce montant est disproportionné eu égard au capital de la BCE, et lorsque l'inévitable restructuration de la dette grecque interviendra, la débâcle ne pourra être évitée.

L'Allemagne a accepté la création de l'euro à condition que la monnaie unique soit aussi solide que le deutschemark qu'elle remplaçait. Ce qui impliquait que la Banque Centrale Européenne (BCE) soit, à l'instar de la Bundesbank, un organisme politiquement indépendant ayant comme principal objectif le maintien de la stabilité des prix. Pour atteindre cet objectif, la BCE a été dotée d'un instrument privilégié : le taux d'intérêt auquel se refinancent à court terme les établissements de crédit de la zone euro. Par ailleurs, le financement des Etats membres lui a été strictement interdit.

Les conditions demandées par l'Allemagne ont été respectées jusqu'à ce qu'éclate la crise grecque. Dans les premiers mois de 2010, Athènes, n'arrivait plus à se financer sur les marchés. Les leaders de la zone euro, après d'âpres négociations et pas mal de tergiversations, lui ont donné accès à un fonds spécialement créé à son intention et auquel contribue, outre les Etats de la zone euro, le Fonds Monétaire International. Mais la BCE n'a pas pu se tenir à l'écart du premier plan de sauvetage de la Grèce (sauvetage explicitement interdit par le Pacte de stabilité et de croissance). Soumise à la pression des dirigeants de la zone euro la BCE a pris le 10 mai 2010, sous prétexte d'assurer la profondeur et la liquidité des marchés et de faciliter la conduite de sa politique monétaire, une initiative lourde de conséquences : elle s'est autorisée à acheter les obligations souveraines des pays de la zone euro. Donc à fournir de l'argent aux gouvernements qui en sollicitent. Ce que jusqu'alors ses statuts lui avaient interdit de faire (ne serait-ce que pour ne pas augmenter excessivement une masse monétaire avec les conséquences inflationnistes que cela entraîne).

Après avoir acheté des obligations souveraines pendant une année la BCE se trouve détenir aujourd'hui (d'après Open Europe, un think tank londonien) pour 190 milliards de dettes grecques. Or, le poste capital et réserves de la BCE ne se monte qu'à 82 milliards d'euros pour un bilan total de 1 900 milliards dont un dixième est constitué, nous l'avons vu, par des dettes grecques publiques et privées. Il s'agit là d'une capitalisation très faible correspondant à un levier de 23 et signifiant qu'une baisse de 4,3% de la valeur du total des actifs entraînerait la disparition complète du capital et des réserves de la BCE. L'insuffisance de son capital apparaît également si l'on considère qu'une perte de valeur de 44 % des dettes grecques réduirait à néant le capital de la vénérable institution de Frankfurt. Bien entendu, si un tel événement se produisait la BCE ne ferait pas faillite comme une vulgaire banque de dépôt, car ses actionnaires (le Etats de la zone euro) la recapitaliseraient immédiatement.

Une recapitalisation serait d'ailleurs nécessaire même si la BCE ne perdait qu'une partie de son exposition à la Grèce, suite à une restructuration des dettes de ce pays. Ajoutons qu'une telle restructuration entraînerait la dégradation des notes attribuées à ces dettes par les agences de rating. Ses statuts interdiraient alors à la BCE de prendre en pension les obligations hellènes qui lui seraient proposées par les banques grecques dont le refinancement deviendrait impossible.

Les répercussions qu'aurait une restructuration des dettes grecques sur le bilan et les activités de la BCE ainsi que sur la viabilité des banques grecques expliquent l'opposition acharnée de celle-ci à toute opération de ce genre (même déguisée en échange volontaire d'obligations). Etant donné l'endettement de la Grèce, ses déficits budgétaires, le manque de compétitivité de son économie, le pouvoir de ses syndicats opposés aux privatisations, l'hypertrophie de sa fonction publique, la généralisation de la fraude fiscale, cette restructuration, quel que soit le nom qu'on lui donne, peut être retardée mais pas évitée. Lorsqu'elle se produira, elle entrainera une débâcle bancaire et financière. Pour que la zone euro s'en sorte aux moindres frais elle devra compter sur la politique monétaire de la BCE.

Malheureusement, celle-ci aura perdu la confiance des Européens et surtout celle des contribuables allemands qui, indignés d'avoir été trompés, n'accepteront plus de venir au secours d'une zone euro en phase terminale. En acceptant de participer au sauvetage temporaire de la Grèce au printemps 2010 la BCE a cédé à des pressions politiques. Elle a ainsi commis une erreur fatale et trahi gravement la confiance qui avait été placée en elle tout en prenant des risques excessifs dont les contribuables européens auront à régler la note.