Téléphonie mobile : quand une révolution en cache une autre

Par Emmanuel Combe, professeur à l'Université de Paris I, professeur affilié à ESCP Europe.
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Le secteur de la téléphonie mobile est en proie à une animation concurrentielle, comme il n'en avait guère connu jusqu'ici. La cause de cette petite révolution a été maintes fois analysée : l'arrivée prochaine de Free. Une entrée qui fait à l'évidence très peur aux trois opérateurs. Ces derniers ont lancé une guerre préventive, déterminés à couper l'herbe sous les pieds du nouveau venu. Ils ont envoyé au front leurs MVNO, dont la part de marché a doublé en deux ans ; ils les ont engagés dans la bataille des prix, avec une puissance de feu parfois impressionnante, à l'image de La Poste Mobile et de ses 10.000 points de vente ; ils ont commencé à réviser leurs tarifs à la baisse ; ils se sont lancés dans le "quadruple play". Bref, avant même l'entrée de Free, un vent nouveau de concurrence a soufflé sur la téléphonie mobile.

Mais une autre révolution, plus silencieuse mais plus radicale, est en train de se faire jour, qui touche moins les tarifs que les prestations offertes. À cet égard, la décision récente de SFR de lancer ses forfaits avec ou sans engagement marque un premier tournant. En effet, les trois opérateurs ont développé jusqu'ici un modèle commercial reposant sur des packages complexes - peu comparables entre eux - et des offres avec engagement de durée, en contrepartie du subventionnement du terminal.

Ce modèle économique ne correspond plus aux attentes profondes des consommateurs, en quête de transparence et de simplicité, de fidélité choisie plutôt que de captivité, de liberté totale de choix.

Transparence et simplicité : le package et son cortège de conditions d'utilisation et d'astérisques alimentent la défiance chez le client, qui souhaiterait pouvoir identifier le prix et la nature exacte de chaque composante ainsi que sa valeur ajoutée par rapport à l'usage qu'il en fait. L'avenir est sans doute à une offre de base minimaliste et plus lisible, sur laquelle le client viendrait ajouter lui-même une série d'options bien identifiées.

Fidélité choisie : la logique de l'engagement de durée - le plus souvent vingt-quatre mois pour bénéficier de tarifs attractifs - est problématique, dès lors que la même gamme de forfaits n'est pas déclinée avec ou sans engagement. L'engagement est alors perçu davantage comme un passage obligé que comme un choix. Dans la même veine, le système des points de fidélité pose question : censés récompenser un comportement passé, ils ne peuvent être utilisés qu'en contrepartie d'un réengagement futur. Pourquoi ne pas concevoir des points de fidélité qui puissent être un à-valoir sur l'achat d'un bien ou d'un service proposé par l'opérateur ?

Liberté totale de choix : le consommateur veut aujourd'hui être maître du jeu, en composant lui-même son forfait à la carte, plutôt qu'en se calant sur des menus prédéterminés. Cette mutation implique de repenser radicalement l'approche commerciale, en faisant du client l'arbitre de ses choix et en lui demandant, le cas échéant, d'assumer les conséquences de ses propres décisions. La contrepartie de la liberté du client, c'est sa responsabilité individuelle. On pourrait par exemple imaginer que, lors de la conclusion du contrat, le client valide non seulement les options qu'il retient mais également celles qu'il ne choisit pas.

Cette révolution silencieuse, qui a déjà conquis l'aérien et qui pourrait bien demain se diffuser vers de nouveaux secteurs comme la banque de détail, porte un nom : la révolution "low cost".

Une révolution qui est d'abord basée sur la simplification des prestations et la liberté de choix. En effet, contrairement aux idées reçues, le low-cost est d'abord un modèle qui a su réinterroger la demande, c'est-à-dire les besoins des consommateurs, pour les redéfinir dans le sens du minimalisme. Chaque produit ou service est "dépouillé" de ses fonctions annexes jusqu'à n'en retenir que le coeur, c'est-à-dire la fonction essentielle. Tout le reste, devenu "accessoire", est supprimé ou transformé en options payantes, qu'il appartient au client de choisir ou non. C'est cette même simplification des prestations qui permet en retour de faire baisser les coûts et, par effet de translation, le prix moyen. Le "low cost" n'a pas le monopole de la production à bas coûts - sauf à considérer que les iPhone d'Apple sont "low cost" au motif qu'ils sont fabriqués en Chine - ni des prix bas - sauf à considérer que les produits de luxe soldés sont "low cost". En revanche, le "low cost" est le premier modèle économique à avoir su être à l'écoute des nouvelles attentes et contraintes des consommateurs.

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