Protection sociale : changer de philosophie

Notre système de protection sociale a été fondé sur un principe d'universalité : il assure une redistribution horizontale - sans tenir compte des revenus - beaucoup plus large que dans les autres pays. Elle est intenable quand la croissance s'affaiblit. Il faut donc placer toute une série de prestations sous conditions de ressources.
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Les syndicats en conviennent désormais, il faut réfléchir à de nouveaux modes de financement de la protection sociale : une nouvelle répartition s'impose entre ce qui doit être couvert par la solidarité nationale - en clair, l'impôt - et ce qui doit être pris en charge par la solidarité professionnelle - les cotisations sociales. Il s'agit là d'un véritable changement de philosophie : en 1945, le choix des cotisations avait été dicté par la volonté de faire acquérir aux actifs des droits à prestations, droits qui devaient contraster avec des prestations d'assistance. D'autres pays, à la même époque, ont fait des choix différents et, compte tenu du durcissement de la concurrence internationale, c'est faire preuve de réalisme que de reconnaître maintenant que la solidarité nationale doit prendre une plus grande place dans le financement des dépenses sociales.

Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin : en matière de protection sociale, ce n'est pas seulement la philosophie de son financement qui doit être modifiée, mais encore celle des prestations. La compétitivité de notre économie n'est en effet pas seule en cause, il y va en effet aussi de l'équilibre de nos finances publiques. Ce n'est pas uniquement l'assiette des prélèvements qui est concernée, mais également leurs montants globaux : ceux-ci ne pourront être contenus dans des limites raisonnables que si les prestations qu'ils servent à financer sont elles-mêmes maîtrisées.

En matière de redistribution « verticale » - celle qui va des plus aisés aux plus modestes -, la performance de notre système est satisfaisante et comparable à celle d'autres pays. S'agissant de la redistribution « horizontale » en revanche - celle qui ignore les revenus, mais tient seulement compte de situations différentes (malades, chargés de famille, etc.), notre pays paraît spécialement généreux. C'est, chez nous, l'une des causes du poids important des dépenses sociales et de leur progression rapide. Pour réduire ce poids et contenir cette progression, il convient de maintenir et même d'accroître la redistributivité « verticale » de notre système en réduisant quelque peu la place qu'y occupe l'« horizontale ».

Pour ce faire, il faut enfreindre le principe d'universalité de la protection sociale retenu en 1945. La règle qui a inspiré la construction de notre protection sociale fut alors : à risque égal, prestations égales. Règle généreuse certes, mais irréaliste dès que la croissance ralentit ou que la démographie se montre moins favorable. Elle implique en effet, dans ce cas, des prélèvements trop importants générateurs de distorsions. Il serait donc souhaitable, dans le versement de plusieurs types de prestations, de réintroduire la prise en considération des niveaux de vie.

Nous sommes évidemment ici dans des domaines complexes, de nombreuses études seront nécessaires. Pour les allocations familiales, la prise en compte du revenu des bénéficiaires ne devrait pas être trop difficile : à partir d'un certain niveau de vie familial, que l'Insee mesure de façon satisfaisante, les allocations seraient dégressives. En matière de santé, le problème est beaucoup plus complexe, compte tenu de la diversité des modes de soins et de celle des prestations.

Mais des solutions devraient pouvoir être trouvées : du remboursement des soins qui n'interviendrait qu'au-delà d'une certaine proportion du revenu à des taux de remboursements qui seraient décroissants à partir d'un niveau de vie donné, il y a sans doute des solutions que l'informatique rend praticables, même si elles ne sont pas faciles à définir. En ce qui a trait à la retraite, l'âge légal unique de cessation d'activité ne tient pas compte d'espérances de vie qui - soyons clairs - croissent le plus souvent avec le niveau des droits accumulés.

En formulant ces suggestions, nous avons bien le sentiment d'alimenter les débats non pas d'une, mais de plusieurs campagnes présidentielles. C'est assez dire qu'il s'agit de réformes au long cours. Mais le jeu en vaut la chandelle puisque, en couplant réforme des prélèvements et réforme des prestations, nous devrions parvenir, d'une part, à réduire la part prélevée sur la richesse nationale et à améliorer notre compétitivité, et d'autre part, à rétablir l'équilibre des finances publiques tout en accroissant la redistributivité de notre protection sociale.

Voilà le demi-point ou le point de croissance supplémentaire dont nous avons besoin pour résorber notre chômage. Une croissance plus rapide avec une protection sociale plus équitable et moins coûteuse, c'est la porte d'entrée dans une nouvelle période d'équilibre économique et social, comparable à celle des Trente Glorieuses. Tout spécialement en cette matière, notre avenir sera à la mesure de notre lucidité.

 

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