Le combat d'Anne Lauvergeon continue

Par Stéphane Soumier, rédacteur en chef de BFM Business.
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Va-t-elle sortir le bazooka ? En regardant Anne Lauvergeon quitter Areva la semaine dernière, je me demandais si elle allait une bonne fois pour toutes balancer ce qu'elle avait sur l'estomac, tirer à vue sur tous ceux qui programment son échec depuis dix ans, régler des comptes cuits et recuits. Ouvrir le feu serait légitime. Le risque, c'est d'abîmer le bilan avec une sortie trop violente, et ce qui va se jouer maintenant dépasse le règlement de comptes. Je ne sais pas si elle le dira publiquement, mais le seul regret qu'exprime encore son entourage aujourd'hui, c'est de ne pas avoir été au bout d'une histoire qui pouvait construire la troisième étape de notre aventure nucléaire.

On connaît par coeur la première étape, celle d'une génération qui sort des guerres de décolonisation avec la volonté farouche de construire l'indépendance énergétique du pays. On ne tolère aucun compromis, on avance à marche forcée, on s'expliquera plus tard. C'est Anne Lauvergeon, justement, qui va prendre cette tâche à bras-le-corps. À travers la création d'Areva, ce sont des portes qui s'ouvrent. En remontant le fil, j'ai trouvé ce communiqué savoureux de mars 1999 : Daniel Cohn-Bendit vient visiter l'usine de la Hague (traitement des combustibles usagers). Il est accueilli à l'entrée par une manifestation violente des salariés de ce qui s'appelle encore la Cogema. Quelques heures plus tard, l'entreprise écrit : "pour compréhensible que soit l'émotion générée par cette visite" (sic !), la direction rappelle qu' "une politique de transparence et d'ouverture est indispensable".

Areva a-t-elle gagné cette bataille de communication, qui était en fait une bataille de confiance ? Sincèrement, je le pensais. Et derrière, je pouvais, comme tout le monde, écrire "Fukushima a tout remis en cause". Anne Lauvergeon expliquait la semaine dernière que les choses étaient plus complexes, que la France était toujours restée l'une des places fortes de l'opposition antinucléaire en Europe, derrière l'Allemagne, mais juste derrière l'Allemagne. Elle ajoutait qu'on avait eu le tort d'oublier la dimension de "tragédie" qui, forcément, disait-elle, accompagnait la croissance de l'industrie nucléaire. Elle ne l'a jamais oublié, d'où son combat contre le nucléaire low-cost qui lui aurait coûté ce fameux contrat d'Abu Dhabi. En fait, c'est un péché d'orgueil qui lui a coûté ce contrat. Le péché de croire qu'elle pouvait en l'occurrence se passer d'EDF, mais ça, c'est de l'histoire ancienne.

L'important, c'est maintenant la troisième étape. Si elle en avait la force, l'industrie nucléaire pourrait faire un rêve. Celle de devenir une puissance d'exportation. En renouvelant le parc, en modernisant l'ensemble des sites, elle pourrait construire un nouvel Airbus, produire de l'électricité pour l'Europe entière, devenir un réel poste de puissance pour le commerce extérieur ! Écrire ces lignes, c'est prendre la mesure du défi. Il semble totalement invraisemblable aujourd'hui. Comme pouvait sembler invraisemblable en 1999, quand on était accroché avec les manifestants de Greenpeace aux grilles de l'usine de la Hague, la perspective d'une entreprise industrielle puissante, leader mondial d'un secteur en pleine expansion, parvenant à vendre dans le monde entier un réacteur de plusieurs milliards d'euros. Nous sommes quand même encore nombreux à penser que l'histoire du nucléaire n'a pas écrit son chapitre final à Fukushima. L'enjeu, c'est de ne pas se laisser faire. Partout, on me dit que ce qui a coûté son poste à Anne Lauvergeon, c'est finalement la certitude de l'exécutif qu'elle ne serait jamais docile. Mais comment peut-on rester docile quand on mène un tel combat ?

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