Le défi de l'énergie urbaine, passer de l'abondance à l'efficience

Par Christian Grellier, directeur de l'innovation et du développement durable Bouygues Immobilier.
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Le siècle dernier a été une période de stabilité pour l'énergie. Elle était une chose évidente : peu chère, illimitée, et sans évolution technologique majeure. Ce qui a permis notre développement économique. Aujourd'hui, l'énergie est devenue plus chère et nous coûtera de plus en plus cher, d'autant plus que l'on s'achemine vers une révision à la baisse des capacités de production, notamment sous l'effet Fukushima. Il faut donc apprendre à la gérer autrement : mieux la produire et mieux la consommer. Cette tension sur l'énergie ne fera que croître au cours des prochaines années : 75% de la population française sera concentrée en ville, en 2020, et les pics de consommation (chauffage électrique...) seront de plus en plus fréquents et importants. Il faut donc passer de l'économie de l'abondance à l'économie de l'efficience. Les entreprises qui ne prendront pas la mesure de ce changement risquent de pénaliser leur future croissance.

En d'autres termes, le coût de l'énergie - sans oublier l'enjeu environnemental - exige que nous entamions une révolution sans précédent dans son management, notamment dans les quartiers urbains. Le nouveau défi est celui de l'énergie urbaine distribuée, au travers de "smart grids" (réseaux intelligents d'énergie).

Concrètement, ces "urban grids" reposent sur trois fondamentaux : les bâtiments basse consommation, la production locale d'énergies renouvelables et l'ajustement permanent de la production et de la consommation d'énergie via un réseau intelligent. Tout d'abord, les bâtiments résidentiels et tertiaires vont devoir évoluer pour améliorer la performance thermique de leur enveloppe et ajuster de manière continue leurs consommations à leurs besoins, par le biais d'outils innovants de pilotage énergétique. Dans certains cas, cette efficience énergétique sera garantie aux occupants par un "bail vert", intégrant un engagement de performance énergétique pendant la durée du bail. Certains de ces bâtiments pourront également produire de l'énergie (photovoltaïque, cogénération) et avoir donc un bilan énergétique positif : c'est déjà le cas des Green Offices®. La performance énergétique des bâtiments devient donc un point clé et il ne pourra y avoir de "smart grid" urbain sans bâtiments intelligents. Sous l'impulsion de cet enjeu énergétique, le secteur de la construction vit d'ailleurs une véritable révolution.

Par ailleurs, les énergies renouvelables sont indispensables pour répondre aux objectifs de réduction des émissions de CO2. Mais leur production est irrégulière et impose donc que les réseaux s'adaptent à cette variabilité et que l'on puisse éventuellement stocker cette énergie (batterie,...). Le "smart grid" urbain devra donc assurer, en même temps, la communication entre les bâtiments intelligents et la prise en compte des productions décentralisée d'ENR et bientôt de nouvelles demandes (véhicules électriques).

L'émergence des "smart grids" urbains ouvre donc la perspective d'une rupture du même ordre que celle du monde des télécoms à la fin du XXe siècle. Depuis quinze ans, nous avons vécu la révolution d'Internet qui a imposé un modèle de communication distribué à la place d'un modèle centralisé. L'énergie se dirige elle aussi vers un modèle distribué. Ce développement des « smart grids » urbains sera sans doute dopé par l'évolution des logiques d'ouverture des marchés de fourniture d'électricité à la concurrence, un peu partout dans le monde. Cela représente une opportunité considérable pour les spécialistes de l'aménagement urbain, les énergéticiens, les acteurs des TIC et les fournisseurs d'équipements. Pour autant, ne nous laissons pas atteindre, dans ce domaine, par le "syndrome Minitel". Parce que nous avions inventé, dans un contexte très régulé, un modèle performant des services en ligne (le Minitel), nous avons failli rater le virage Internet. De la même manière, soyons vigilants à ce que le choix pertinent d'hier de l'indépendance énergétique par le nucléaire ne nous empêche pas de saisir les opportunités de l'énergie distribuée. D'autant plus que nous avons en France de nombreux champions industriels à même de relever ce formidable défi industriel, gisement d'emplois non délocalisables.

Il faut donc s'y préparer dès maintenant par le biais de projets urbains concrets, réunissant tous les acteurs concernés (collectivités et industriels) autour de démonstrateurs permettant de lever les verrous technologiques et de bâtir, ensemble, un nouvel écosystème énergétique. Des projets comme IssyGrid® vont dans ce sens : il s'agit du premier réseau de quartier intelligent se développant à Issy-les-Moulineaux. Il regroupe la ville et un consortium d'acteurs majeurs (Alstom, Bouygues Immobilier, Bouygues Telecom, ERDF, ETDE, Microsoft, Schneider Electric, Steria et Total).

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