Chine : le piège du revenu moyen

Par André Chieng, président du Comité France Chine.
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Si la Chine est considérée sous l'angle de la réussite économique à l'étranger, suscitant jalousie et accusée d'arrogance, à l'intérieur, ses experts ne cessent d'insister sur ses faiblesses : son PIB par habitant la classe autour du 100e rang mondial, son coefficient Gini atteint 0,48, pire qu'en Russie ou en Inde, voisin du Brésil. Ils donnent un nom au risque majeur que court la Chine : le piège du revenu moyen, syndrome qui touche les pays émergents quand leur PIB avoisine 5.000 dollars par habitant (en 2010, la Chine était autour de 4.300). Si certains pays ont su brillamment l'éviter (Japon, Singapour, Corée du Sud...), la plupart des pays d'Amérique latine et d'Asie du Sud-Est en ont été atteints, quand les besoins de base de la population ont été satisfaits et qu'elle aspire à satisfaire d'autres besoins. Les symptômes de cette maladie se manifestent par l'impossibilité de la majeure partie de la population à accéder à la classe moyenne. Les grands groupes nationaux utilisent leur pouvoir, souvent par la corruption, pour faire adopter des politiques protectionnistes et plus favorables à leurs profits. Les PME n'arrivent pas à émerger. La compétitivité réelle du pays recule. Le pouvoir d'achat stagne. L'écart des revenus s'accroît, provoquant soit des révoltes, soit une fuite en avant des gouvernements adoptant des mesures populistes ou démagogiques finissant par plonger le pays dans la crise. Or la Chine montre plusieurs de ces symptômes, notamment le poids des monopoles d'État, une des importantes sources d'inégalité cumulant les privilèges : hauts salaires, nombreux avantages en nature, sans oublier pour leurs dirigeants des investissements très lourds, vecteurs faciles de corruption. On voit, au passage, que cette analyse permet d'expliquer les événements d'Afrique du Nord sans recourir aux motivations politiques mises en avant par l'Occident. Comment la Chine peut-elle éviter ce piège ?

C'est en gardant cette question en tête qu'il faut lire le XIIe Plan quinquennal :
- En 2015, les services devront représenter 47 % du PIB de la Chine contre 43 % actuellement.
- Le taux d'urbanisation devra passer de 47 % à 51 % de la population.
- Le ratio R&D sur PIB devra passer de 1,8 % à 2,2 %.
- L'intensité énergétique et l'intensité carbone de chaque unité de PIB devront diminuer de 16 % et 17 %.
- Les énergies propres devront compter pour 11,4 % de l'énergie totale chinoise.
- Accroissement de la protection sociale dans les villes et les campagnes.
- Construction de logements sociaux.

Le taux de croissance prévu (7 % en moyenne) en devient accessoire et moins important que l'augmentation des revenus citadins et ruraux qui devra être supérieure à 7 %. L'accroissement du poids des services, l'urbanisation menant à une transformation de fond de la population rurale, l'accent mis sur la R&D,... toutes ces mesures sont destinées à retrouver des marges de progrès de productivité qu'on ne peut plus espérer des industries de main-d'oeuvre traditionnelles. La Chine concentrera sa R&D sur les énergies nouvelles à la fois pour respecter l'obligation de diminuer son empreinte carbone et pour aborder un domaine de recherche où elle n'accuse pas de retard sur le monde développé. On retrouve l'impératif de développement scientifique prôné par le PCC.

En parallèle, s'impose l'obligation de résoudre les problèmes sociaux. Puisque les bienfaits de la croissance profitent à certains plus qu'à d'autres, une redistribution s'impose, mais elle ne peut aller trop loin au risque de casser la croissance. Il faudrait que, néanmoins, chacun y trouve suffisamment avantage. C'est la mise en oeuvre de  l'effet tunnel  décrit par Hirschman : des conducteurs pris dans un embouteillage sous un tunnel l'accepteront si les voitures avancent en ordre, même lentement et même si certains avancent plus vite que d'autres. En revanche, l'arrêt complet de la circulation provoque un chaos immédiat. D'où l'obligation de maintenir les progrès de productivité afin de dégager les ressources nécessaires à la redistribution.

Contrairement à ce qui a été écrit, la Chine ne change pas de modèle économique : elle n'en a jamais eu ! Depuis Deng Xiaoping, elle essaye d'adopter la stratégie qui convient à son stade de développement. On l'a accusée de mener une politique mercantiliste à l'instar du Japon. Pourtant, cela fait longtemps que l'investissement dans les infrastructures est le moteur principal de sa croissance. Mais aujourd'hui, cela ne suffit plus : les trois moteurs de l'investissement, de l'exportation et de la consommation intérieure, accompagnés de l'impératif de maintenir les progrès de productivité, sont nécessaires pour permettre à la Chine d'éviter de tomber dans le piège du revenu moyen. La Chine a réussi en trente ans à sortir de l'état de pays pauvre, il lui faut maintenant atteindre le stade "xiao kang" (aisance modeste), mais, comme pour les trente années passées, il n'y a pas de précédent à une tâche d'une pareille ampleur, dans un pays aussi vaste et aussi diversifié.

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