Jean-Claude Trichet et le modèle allemand

Le modèle économique que devraient suivre les pays européens, c'est l'Allemagne, affirme le président de la BCE. Un modèle fondé sur la réduction des coûts salariaux et du déficit public. Si ces recommandations étaient suivies, l'Europe s'effondrerait, lui répond l'ancien président du parlement européen, Josep Borrell.
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Jean-Claude Trichet a toujours aimé les modèles. Au cours des années 1990, il montrait en exemple les Pays-Bas, conciliant rigueur budgétaire et faible taux de chômage. Cette exemplarité fut battue en brèche lorsque apparut la réalité du marché du travail néerlandais : le plein emploi masquait une proportion importante de la population en âge de travailler, placée dans la catégorie handicapés, sortie ainsi de la population active, ce qui diminuait d'autant, artificiellement, le chômage. Aujourd'hui, le président de la Banque centrale européenne met en avant le modèle allemand. C'est la réduction des coûts salariaux et celle du déficit public, qui permettent à l'Allemagne d'obtenir une croissance économique exceptionnelle en Europe, a-t-il affirmé, à l'occasion des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence. Peu après, le socialiste espagnol Josep Borrell, ancien président au Parlement européen, lui répondait que, "si toute l'Europe faisait comme l'Allemagne, elle s'effondrerait à coup sûr".

La baisse relative des coûts salariaux est incontestable outre-Rhin. Avant prise en compte de l'inflation, le coût horaire moyen de la main-d'oeuvre est passé, selon Eurostat, de 25 euros en 2000 à 27,80 euros en 2007, la période durant laquelle ont été mises en oeuvre les principales réformes du marché du travail. Soit une baisse, une fois défalquée la hausse des prix. En France, dans le même temps, le coût horaire a grimpé de 24,80 euros à 31 euros. Cette réduction du coût du travail n'a été rendue possible, bien sûr, que par des baisses de salaires. Ceux-ci ont diminué régulièrement au milieu des années 2000 (? 0,8 % en 2005 pour le salaire réel moyen, ? 0,7 % en 2007... selon la Commission européenne). D'où une consommation rigoureusement stagnante, durant la décennie 2000, que ne vient pas rattraper la petite hausse annoncée pour 2001 (+ 1,2 %).

La rigueur salariale a permis, en revanche, de renforcer la compétitivité-coûts des entreprises allemandes, permettant l'extraordinaire expansion de leurs exportations. Vers l'Asie, notamment, comme on le sait. Mais pas seulement. Si la Chine devient un partenaire commercial important de l'Allemagne, elle n'est que son septième pays d'exportation. Loin derrière, la France, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, l'Italie et à égalité avec l'Autriche.

De fait, les entreprises allemandes vendent beaucoup en Asie, mais aussi et surtout en Europe où, au cours de la décennie 2000, elles ont gagné des parts de marché, au détriment de leurs concurrentes des autres pays de l'Union. En 2000, les exportations allemandes représentaient 21,4 % des exportations internes à l'UE, selon Eurostat. En 2010, cette part de marché avait grimpé à 22,8 %. D'où la réponse de Josep Borrell : si toute l'Europe avait cherché à réduire ses coûts pour prendre des parts de marché aux autres pays membres, ce jeu non coopératif aurait conduit à la déprime de l'économie.

S'agissant de la réduction du déficit public, citée par Jean-Claude Trichet, ce qu'a fait l'Allemagne, au cours des années 2000, est effectivement exceptionnel : diminuer sensiblement le déficit sans aucun soutien de la croissance économique. Contrairement à une idée couramment admise, les pays souvent cités en exemple pour leur réduction à marche forcée du déficit, tels que la Suède ou le Canada, n'y sont pas parvenus uniquement par des mesures d'économies. Ils se sont appuyés sur une croissance forte, obtenue par une politique monétaire très souple, et des dévaluations massives de leurs monnaies, dopant les exportations.

Le prix à payer pour les Allemands ? Des coupes claires dans les budgets sociaux (retraites), qui ont contribué à une progression importante des inégalités, comme l'a souligné récemment une étude des Nations unies. La croissance allemande (plus de 2,5 % en 2011, après 3,6 % en 2010) durera peut-être. Il ne faut pas oublier ce qu'elle est, d'abord : un rattrapage d'une décennie de stagnation et d'une année de forte récession, près de deux fois plus lourde qu'en France...

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