Nucléaire : arrêtons les frais !

Par Corinne Lepage, député européen, ancien ministre de l'Environnement  |   |  793  mots
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Le choix du nucléaire ne peut être fait qu'au terme d'un véritable bilan économique et financier de la filière que le gouvernement se refuse à faire. Et pour cause : une analyse rationnelle des coûts et des avantages de la filière EPR nous amènerait à privilégier les énergies renouvelables au détriment du nucléaire.

L'annonce d'un retard supplémentaire de deux ans et d'un nouveau surcoût portant à plus de 6 milliards d'euros le prix du réacteur EPR de Flamanville devrait être l'occasion de poser de manière rationnelle et non pas passionnelle la question de la poursuite du programme nucléaire.

En effet, la vraie question est celle de savoir si nous installons de nouvelles centrales en France ou si nous nous contentons de celles qui, après avoir été testées, sont considérées comme sûres. Dans un cas, nous relançons le nucléaire pour soixante ans en France ; dans l'autre, nous programmons la sortie du nucléaire à terme.

Le choix ne peut être fait qu'au terme d'un véritable bilan économique, social et financier que le gouvernement, auquel le parti pris passionnel en faveur du nucléaire retire toute rationalité, se refuse de conduire. Sans doute, ce refus s'appuie sur un dogme devenu quasi religieux du leadership français dans le domaine nucléaire, considéré comme un secteur d'avenir, alors qu'il ne s'agit que d'un secteur qui a maintenant vécu. Mais il repose aussi sur l'intuition qu'un bilan honnête aboutirait à abandonner très vite le choix de l'EPR et donc de la relance du programme nucléaire français. Il convient donc pour un décideur sensé de se retirer de l'EPR.

Pour des raisons techniques tout d'abord. Le retard supplémentaire de deux ans, qui porte désormais à sept ou huit ans le temps de construction de cette centrale, souligne les très grandes difficultés déjà rencontrées par Areva en Finlande. Il ne s'agit pas seulement des infractions commises par les sous-traitants et des difficultés liées au BTP. Il s'agit également des faiblesses techniques de l'EPR, relevées en leur temps par les autorités de sûretés finlandaises, françaises et anglaises et qui n'ont pas été corrigées. Rappelons que quelques semaines après Fukushima, M. Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, avait demandé un moratoire sur l'EPR de Flamanville. Même s'il avait été vite "renvoyé dans ses cordes" par M. Proglio, PDG d'EDF, puis par M. Besson, ministre de l'Industrie, les raisons qu'il invoquait restent évidemment parfaitement valables.

Pour des raisons financières ensuite. EDF annonce en effet aujourd'hui plus de 6 milliards d'euros pour un projet qui devait au départ en coûter 3 milliards. Et il est plus que probable que si Flamanville allait à son terme, le coût définitif pourrait atteindre 7 ou 8 milliards d'euros. Cela signifie que le coût de revient du kilowattheure nucléaire sorti de Flamanville pourrait atteindre non plus 65 mais 75 centimes d'euro, voire davantage. A ce prix-là, le kilowattheure nucléaire n'est plus compétitif si on y ajoute de surcroît le coût du démantèlement et du traitement à long terme des déchets. Rappelons que le prix de revient du kilowattheure éolien terrestre est aujourd'hui autour de 70 centimes d'euro.

Pour des raisons économiques enfin. Flamanville a été conçu comme la vitrine du savoir-faire français dans le domaine nucléaire. Or, compte tenu de la situation, il est évident que le fiasco commercial qui est déjà apparent en ce qui concerne l'EPR ne va que s'accroître. Cet acharnement contraste du reste avec la politique menée par GDF Suez qui travaille sur des projets en partenariat avec la Chine, de plus petite taille. Continuer est donc parfaitement contre-productif, très coûteux et sans avenir. Même en termes d'emplois qualifiés, le bilan risque d'être négatif. Car la particularité française, unique au monde et qu'aucun pays ne nous envie, de programmer la destruction de 12.000 emplois dans la filière photovoltaïque au lieu de développer les filières des énergies renouvelables et la sobriété énergétique est suicidaire. De la même manière, limiter à 500 MW par an le nombre de kilowattheures d'origine photovoltaïque, diviser par 2 le nombre de mégawatts prévus pour l'éolien offshore par le Grenelle de l'environnement atteste du refus français, non seulement de respecter ses engagements communautaires, mais surtout de développer sérieusement le secteur des énergies renouvelables.

L'entêtement pathologique du gouvernement et d'EDF - qui par ailleurs investit massivement sur les énergies renouvelables à l'extérieur de la France - nous expose collectivement à un risque économique et financier qui vient bien entendu s'ajouter au risque nucléaire lui-même.

Il est plus que temps d'arrêter les frais, d'être réaliste et innovant. Faisons du développement massif du renouvelable et des industries de la sobriété énergétique le fer de lance d'un nouveau dynamisme économique et industriel de notre pays.