La crise de la dette et le discours politique

Par Nicolas-Jean Brehon, économiste à la Fondation Robert-Schuman, enseignant à Paris I-Sorbonne  |   |  808  mots
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La crise actuelle des marchés n'est qu'une expression de la désaffection à l'égard du politique qui ne semble plus écouté ni entendu, tant son discours a été décrédibilisé. Il est temps de trouver les mots justes, et non plus les mots hypocrites, blessants ou tristes.

"Nous, Etats-Unis d'Amérique, nous sommes AAA." Yes, we can ! On peut le dire, on doit le dire : nous ne craignons rien des agences de notation. Dans la période actuelle de turbulences, les gouvernements doivent au moins donner l'apparence de la maîtrise des événements, à défaut de donner celle de la sérénité. Car la crise actuelle des marchés n'est qu'une expression de la désaffection à l'égard du politique qui ne semble plus écouté ni même entendu. Tant son discours a été décrédibilisé. Retour sur dix mois de loupés de communication.

Il y a d'abord les mots hypocrites qui sont ceux des Européens à l'occasion de la crise grecque. La Grèce nous trompait, elle dissimulait ses comptes... Quelle surprise, vraiment, alors que cette situation était dénoncée depuis dix ans par la Cour des comptes européenne ! Mais la Grèce était un petit Etat périphérique loin des grandes ambitions européennes de l'époque et l'on n'y prêta pas attention. Dans le même registre, on peut aussi citer le mot de solidarité. L'Europe se montre solidaire de la Grèce. Alors que, en vérité, l'Europe se sauve aussi elle-même, pour éviter l'enchaînement tragique qui entraînerait toutes les banques et les Etats. Peut-on parler de solidarité quand on n'a pas d'autre choix ? Les plans d'aide ne sont pas des bouées de sauvetage lancées à un noyé, mais le colmatage d'une brèche dans un bateau commun.

Il y a aussi les mots blessants qui accusent. Dans ce registre, les Français sont très bons. Quelle imp(r)udence d'opposer les Français solidaires et les Allemands égoïstes comme on l'entend parfois ! Depuis le début de la construction européenne, les Allemands ont été les principaux financeurs du budget communautaire. Ils ont été des colosses budgétaires imposants mais discrets, acceptant des contributions nettes extravagantes que pas un pays n'aurait accepté. Dans les années 1990, quand la France recevait 10 milliards au titre de la politique agricole commune, l'Allemagne contribuait - en net, c'est-à-dire déduction faite des retours communautaires - à hauteur de 10 milliards. Certes, son discours s'est durci depuis quelques années. L'Allemagne, égoïste vis-à-vis de la Grèce ? Par le jeu des circuits budgétaires, elle a versé près de 50 milliards à la Grèce depuis la création de l'euro ! L'Allemagne intendante, puis banquier de l'Europe, ne veut simplement plus être sa vache à lait.

Il y a encore les mots creux. "L'inflation verbale est aussi pernicieuse que celle des prix", relève Alain Lamassoure. Car elle use la confiance. Celle des citoyens, depuis longtemps, celle des marchés financiers depuis peu. On ne compte plus les engagements solennels sur la reprise, la maîtrise des déficits, "les objectifs grandioses et illusoires" comme le furent ceux définis par la stratégie de Lisbonne destinée à "faire de l'Europe l'économie la plus compétitive du monde" (sic) ou, aujourd'hui, la déjà fameuse règle d'or sur le retour à l'équilibre budgétaire ou bien encore le plan d'austérité italien (1.900 milliards de dette, soit 120% du PIB) de juillet dernier tablant sur un quasi-équilibre budgétaire en 2014... Plus c'est gros, plus ça passe ! Jusqu'au moment où ça lasse. Parce qu'aucun des problèmes de l'Europe (dette, retraites...) ne sera réglé sans un retour à la croissance de 2,5%. Avec une croissance de 1 ou 1,5%, l'Europe n'ira jamais très loin. La répétition de messages vides n'est plus qu'un bruit de fond inaudible.

Il y a aussi les mots tristes. L'austérité n'est pas une perspective. Il faut, bien sûr, faire le ménage dans ce qui ne va pas. La fraude fiscale en Grèce qui atteint 15 milliards par an, les "cadeaux fiscaux" qu'on n'a plus les moyens d'offrir, les délocalisations fiscales, les dépenses qu'on doit pouvoir alléger si l'on cherche bien, les guerres perdues, etc... En France, il faut tenir un discours responsable, y compris en période électorale. Dans l'Union, il faut faire taire les prétentions qui n'ont pu lieu d'être. Mais il faut aussi convaincre que tout ceci ne sera pas vain. Il ne peut y avoir d'issue sans un objectif mobilisateur. L'Europe n'est pas condamnée par la mondialisation. Elle a, elle aussi, ses atouts et même ses points d'excellence. Comme tout un chacun, l'Europe doit aller vers ses points forts.

Il est temps de trouver des mots justes. De la famille de ceux qui montrent une volonté d'agir et non pas de sauver la face, d'innover plutôt que plâtrer, de garantir notre cohésion sociale et européenne, toutes deux mises à mal. Cela passera inévitablement par un saut communautaire. Tant pis, tant mieux.