Le consommateur, le citoyen et le patriote

Si l'on peut se féliciter des intentions des consommateurs, qui se disent de plus en plus nombreux à vouloir consommer français, la réalité diffère. Le déficit extérieur grandissant suffit à le prouver. Tout dépend en fait du type de consommation. La sociologie joue aussi, les « riches » achetant plus de produits luxueux, plus souvent français.
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Il y a tout lieu, bien sûr, de se féliciter des évolutions récentes de l'attitude des consommateurs, soucieux de consommer français. Les résultats de la dernière enquête du Crédoc « Consommation et modes vie » témoignent de cette tendance. En résumé, deux tiers de Français seraient prêts à payer plus cher pour des produits industriels « made in France », contre moins de la moitié il y a cinq ans. Pour autant, comme toute bonne chose, ces résultats doivent être appréciés avec modération.

Une modération méthodologique d'abord. Les travaux de sciences sociales ont montré depuis bien longtemps à quel point les individus questionnés ont intégré les règles de réponse attendues par les sondeurs ou les enquêteurs. Autrement dit, dans la relation qui se joue dans le questionnement, la personne interrogée sait quelle est la réponse la plus légitime implicitement attendue par le questionneur (quand bien même celui-ci ne manifeste pas d'approbation face aux réponses fournies). Il est beaucoup plus valorisant de dire que l'on souhaite consommer français, que l'on est très sensible à l'environnement ou au développement durable... sans pour autant le traduire en acte.

Il ne faut pas toujours y voir un acte de mensonge volontaire mais l'acquisition d'un sens du jeu de la relation d'interrogation. On peut toutefois noter que le thème de la responsabilité s'impose de plus en plus dans la société française comme un thème fédérateur. C'est en ce sens qu'il faut comprendre le passage de 44 % à 64 % des Français disposés à payer un supplément pour consommer français.

Une modération d'interprétation ensuite. Déduire des résultats obtenus que les Français sont « pour » payer plus cher les produits « made in France », il y a un raccourci forcément réducteur. En effet, ces résultats portent sur des déclarations d'intention, voire sur un avis général, et non sur un acte de consommation. Les analystes du Crédoc savent bien par exemple qu'il existe un écart régulier entre les déclarations des individus interrogés sur leur hygiène et les ventes de produits dédiés à celle-ci (savon, dentifrice, déodorant...) qui sont beaucoup plus faibles. De même, sur un plan macroéconomique, on peut constater que le déficit extérieur de la France n'a jamais été aussi important (37,5 milliards d'euros pour le seul premier semestre), c'est donc bien que les Français consomment bien plus de produits étrangers que nationaux, et que cette situation ne cesse de s'accentuer. À ce titre, pour reprendre le titre de l'ouvrage du directeur du Crédoc, Robert Rochefort, les Français sont peut-être de bons consommateurs, mais pas toujours de bons citoyens.

Enfin, ces résultats sont à corréler avec la sociologie des consommateurs. On sait, depuis le milieu du XIXe siècle avec l'économiste autrichien Ernst Engel, que les modes de consommation sont très corrélés avec le niveau du pouvoir d'achat, et donc avec la catégorie sociale d'appartenance. Pour faire simple, plus le niveau de revenu augmente et plus la propension à consommer des produits « luxueux » augmente. Dans le cas qui nous intéresse, l'étude du Crédoc confirme bien que la tendance à consommer des biens français ou des produits « responsables » est plus importante chez des catégories à plus fort pouvoir d'achat, et à plus fort « capital culturel » pour reprendre l'expression de Pierre Bourdieu. La logique de consommation distinctive joue à plein dans la mesure où, plus que jamais, les pratiques de consommation représentent des identifiants ou des marqueurs sociaux très réguliers. Au final, pour que les Français consomment français, il faudra bien que le pouvoir d'achat augmente, et pas seulement des déclarations d'intention. Ce n'est pas la tendance de fond de ces dernières années puisque la crise économique a encore renforcé la baisse du pouvoir d'achat des catégories les plus modestes. On peut se féliciter toutefois que les produits « made in France » soient maintenant associés à une certaine qualité, ce qui, en période de crise de confiance dans la qualité de production de biens alimentaires, est une bonne nouvelle.

Ces quelques précautions d'interprétation ne remettent pas en cause les résultats de l'étude du Crédoc, mais ont pour ambition de mettre en exergue des nuances qui ne sont pas anodines si on ne veut pas prendre des vessies pour des lanternes.

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