Prescrire ou proscrire, les suites de l'affaire du Mediator

Ce serait trop simple si les médicaments étaient simplement bons ou mauvais. Certains d'entre eux peuvent avoir des effets indésirables redoutables dans certains cas, mais être utiles dans d'autres. Il faut réapprendre aux médecins à prescrire.
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Commençons par un truisme : la médecine est en crise et tous les secteurs de l'activité médicale sont touchés. En particulier celui du médicament. L'affaire du Médiator est venue brutalement révéler les dysfonctionnements d'un système considéré comme offrant toutes les garanties de sécurité. Ainsi, une méfiance populaire, déjà palpable à l'égard des médicaments, s'est transformée en certitude. Ce qui est dommageable puisque la confiance qu'on leur accorde conditionne en partie leur efficacité.

Le sacro-saint principe de précaution a par suite conduit, frénétiquement, à la mise en observation de 76 autres molécules qui étaient déjà pourtant connues et prescrites. Étrange attitude qui, dans une comparaison plus cléricale, conduirait à penser que, pour se faire pardonner un péché, il faudrait en avouer 76...

Peut-on également envisager que la mise sur le marché d'un médicament puisse échapper aux règles de sécurité les plus élémentaires ? La réponse est clairement « non ». Par contre, si l'on pose la question différemment, à savoir : lorsqu'une molécule obtient l'autorisation de mise sur le marché(AMM), tout risque est-il entièrement écarté ? la réponse est, paradoxalement, "non". Tout simplement parce que, quelle que soit la rigueur des mesures de sécurité, ce n'est que la dernière phase d'évaluation dite également de "post-marketing" qui décidera de la tolérance du produit. Cette phase correspond à la surveillance du médicament au cours de sa consommation courante. Les organismes de contrôle de santé publique y ont un rôle essentiel à jouer. Ce sont en effet vers eux que convergent les effets indésirables constatés. C'est de leur autorité que relève en cas d'obligation la prise de la mesure nécessaire, c'est-à-dire, le retrait du produit du marché. Et ce, dans les meilleurs délais sous peine de se retrouver dans une situation pour le moins délicate de non-réactivité.

La vie d'un médicament est intéressante à étudier dans la mesure où elle n'a, le plus souvent, rien d'un long fleuve tranquille. L'histoire du thalidomide est à cet égard particulièrement significative. Synthétisé en Allemagne de l'Ouest en 1953, il est utilisé comme sédatif et antiémétique. Il va s'avérer particulièrement efficace chez les femmes enceintes. Tellement efficace qu'il va même entraîner de sévères malformations chez les foetus. La réactivité du laboratoire mérite d'être soulignée. En effet, signalé en 1960, l'effet tératogène aboutit au retrait du produit en 1961, par le laboratoire lui-même, avant même les conclusions expertales. Un an donc sépare le signalement des effets indésirables du médicament et son retrait du marché. Un an donc qu'on ne peut pas ne pas comparer aux douze ans du Médiator. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Le même produit va, en effet, s'avérer posséder des propriétés anti-tumorales et immuno-modulatrices intéressantes qui vont conduire à sa prescription, avec succès, chez l'adulte, en cancérologie notamment. On le constate, la vie d'un médicament réserve bien des surprises et n'obéit à aucun mécanisme manichéen.

Voilà pourquoi l'attitude de "réactivité" se doit d'être érigée en principe. Par ailleurs, il est devenu indispensable de remettre de l'ordre dans le monde du médicament. En ce sens, il est souhaitable que la prescription "basale", à savoir l'ordonnance, ne soit pas oubliée. Or, si l'enseignement de la thérapeutique continue à relever de la compétence des facultés de médecine, au fil du temps, les firmes pharmaceutiques se sont livrées à un activisme pédagogique de plus en plus soutenu.

Le délégué médical est devenu le distributeur d'un enseignement formaté, superficiel et utilitaire. Le traitement du malade s'est vu réduire à celui du symptôme. Ainsi s'est développée une démarche perverse assimilant la qualité de la prescription au nombre des médicaments prescrits. L'addition des molécules a fait le lit d'une pathologie iatrogène [provoquée par un traitement médical, Ndlr] dont la personne âgée est une cible privilégiée.

À cet endroit, peut-être est-il utile de rappeler la recommandation suivante que ne désavouerait certainement pas la Sécurité sociale ! Elle est due à un médecin français, Philippe Pinel (1745-1826) reconnu comme le père de la psychiatrie moderne : "Ce n'est pas un art de peu d'importance que de prescrire correctement des médicaments, mais c'est un art d'une bien plus grande difficulté que de savoir quand les arrêter ou ne pas les prescrire." Encore faut-il, pour appliquer un tel conseil, que l'on ait appris à réfléchir et non pas à, simplement, appliquer des recettes !

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