Diriger : un métier de tout repos ?

Par Bruno Lefebvre, dirigeant d'AlterAlliance et psychologue clinicien
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Le stress et les risques sociaux, sujets largement couverts par les médias, évoquent une réalité quotidienne pour beaucoup de salariés. Les dirigeants quant à eux sont souvent pointés pour leur manque d'implication sur le sujet. Or pour comprendre et agir sur le stress de l'autre, il est préférable d'être au clair avec le sien. En effet, « intéressez-vous au stress des autres, mais le vôtre n'est pas un sujet » serait une belle injonction paradoxale ! Il nous semble donc incontournable de libérer parole et action sur ce sujet. Pourtant, en termes de stress au travail, quel sujet plus tabou que celui des dirigeants ?

 

Un silence qui a plusieurs raisons. À moins d'être dirigeant soi-même, l'empathie pour le stress du dirigeant n'est pas naturelle : la croyance commune incite à penser que le dirigeant, « nanti », disposant des moyens qui font défaut aux autres, n'a pas de quoi être stressé ! Ensuite, les dirigeants sont trop souvent considérés comme responsables du stress, sinon coupables. Cette position d'acteur face au stress des autres se trouve peu compatible avec celle d'en subir soi-même les effets : le dirigeant est en général considéré comme plus « stressant » que « stressé ». Enfin, le stress des dirigeants est un tabou chez les premiers concernés : entend-on souvent des dirigeants parler de leur propre stress ?

Généralement, le dirigeant aime son travail ! Par définition, il bénéficie d'une latitude décisionnelle importante, il a souvent choisi son activité professionnelle, celle-ci lui offre un statut social valorisant, ainsi qu'un sentiment de contrôle.

D'ailleurs, la limite entre le champ professionnel et le champ personnel apparaît souvent ténue : l'image d'Épinal du dirigeant réglant ses affaires sur un parcours de golf illustre que, souvent, l'espace personnel devient aussi un espace professionnel pour le décideur qui ne « décroche » ainsi que rarement de son travail.

 

En ne s'arrêtant pas pour un nécessaire temps de prise de recul et de repos, il est difficile de prendre conscience de son état et de ses conséquences sur soi et sur les autres. Un membre du comex d'une entreprise de 10.000 personnes nous déclarait : « Je ne suis pas stressé, juste speed. » Tout le monde autour de lui le trouvait surtout stressé et stressant ! Un accident cardiaque à 35 ans lui a fait prendre conscience de la nécessité d'un changement... Les conséquences néfastes du stress touchent donc le dirigeant lui-même, mais concernent aussi son entreprise. La pression que celui-ci supporte le pousse à toujours plus d'actions, toujours plus de décisions : celles-ci sont parfois des réactions au stress plutôt que le résultat d'une réflexion adaptée au contexte : quel dirigeant n'a jamais pris une décision sous le coup de la pression pour la regretter ensuite ? Parfois, cette réaction prend la forme d'une hésitation voire d'un immobilisme qui peut être perçu par l'entourage comme un retrait, voire un désintérêt.

Comme nous l'a enseigné Foucault, celui qui ne se soucie pas de lui aura du mal à se soucier des autres : sans ce souci de l'autre, le rythme et les décisions du dirigeant auront tendance à être les siens ou ceux de ses actionnaires, sans que les enjeux et difficultés des collaborateurs soient suffisamment pris en compte.

Alors quelles solutions ? La première suppose une exemplarité : les dirigeants ne peuvent attendre de leurs managers que ceux-ci « gèrent le stress » si eux-mêmes ne s'appliquent pas ce principe : nous préconisons à ce titre que les dirigeants mènent une réflexion sur leur propre stress et ses conséquences, positives comme néfastes. Cette étude pourrait comporter les thèmes suivants : facteurs de stress, réactions à ces facteurs, conséquences humaines et opérationnelles, à court terme et moyen terme.

La deuxième solution consiste à lever le tabou recouvrant ce sujet : nous proposons que les dirigeants provoquent des échanges sur le stress dans leur comité de direction, en sollicitant leur codir pour inventorier les facteurs de stress vécus par cette instance dirigeante (par exemple : pression de l'actionnaire, du client, du codir lui-même).

Le tabou ainsi levé permettrait de percevoir des signaux faibles de stress avant que celui-ci n'occasionne des conséquences fâcheuses sur la santé ou la performance opérationnelle. Enfin, les attitudes managériales doivent être redéfinies et ce, jusqu'au niveau des dirigeants, dans le sens d'une construction concertée et concrète des pratiques managériales conciliant recherche de performance et préservation de la santé. Le respect de ces pratiques devra faire partie de l'évaluation individuelle de chaque manager. La crédibilité du dirigeant sera mesurée sur des faits, plus que sur des déclarations : les plans d'actions à ces trois niveaux seront scrupuleusement observés par tous, ainsi que les évolutions d'attitude de la part des dirigeants. C'est à cette condition que le travail sur le stress du dirigeant profitera à son entreprise, et inversement.

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