Les directeurs travaillent-ils réellement en équipe ?

Par Céline Legrand, enseignant-chercheur en management des ressources humaines, Audencia Nantes École de management
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Aujourd'hui, le travail en équipe est perçu comme étant une partie intégrante de la boîte à outils d'un dirigeant. Peu d'entreprises ou de commentateurs oseraient suggérer que cette pratique n'a pas sa place dans une politique de gestion. Par conséquent, la notion du patron autoritaire agissant en individu tout puissant est souvent reléguée à l'imagerie des entreprises d'autrefois. Et pourtant...

 

Quand on prend le temps d'analyser comment les comités de direction fonctionnent réellement, on constate que le concept d'une équipe unie et démocratique est presque utopique. Alors que le travail en équipe existe et prospère même à d'autres niveaux de la plupart des entreprises, plus on monte dans la hiérarchie, plus le principe devient problématique. Finalement, la question qui se pose est la suivante : au niveau de la direction, le travail en équipe peut-il vraiment exister ?

Quelques exceptions mises à part, la réponse est plutôt « non ». L'étude de diverses entreprises de taille et de secteur différents montre que seulement 6 % opèrent avec un comité de direction réellement intégré au niveau décisionnel. À l'autre extrême, 21 % fonctionnent avec un PDG qui prend la plupart de ses décisions unilatéralement. Dans la grande majorité des cas (73 %), on doit parler au mieux d'un travail de groupe plutôt que d'un fonctionnement en équipe.

 

Que nous disent ces constats sur la nature des relations au plus haut niveau de la hiérarchie en entreprise ? Par définition, le travail en groupe consiste à gérer des individualités ensemble, alors que la notion d'une équipe prend comme base le travail en commun et le principe de consensus. Ainsi, les directeurs au sein d'une entreprise qui fonctionnent plutôt comme un groupe jouent surtout le rôle d'un organe de consultation et d'exécution.

Sur ce point, les PDG interrogés sont lucides. Leur perception en général est que la consultation auprès des directeurs doit exister, mais davantage pour motiver et apaiser les autres que pour influencer radicalement telle ou telle stratégie. En tant que dirigeant, on pose des questions aux directeurs puis on prend sa décision seul. S'ils assument cette prise de décision, c'est parce qu'ils considèrent que leur fonction les oblige à le faire.

Ce modèle peint un tableau peu démocratique du comité de direction. Il s'agit plutôt d'un dirigeant qui s'entoure de collaborateurs auxquels il « vend » ses décisions sans risque majeur de contestation.

Au sein d'un tel groupe, on observe également que les chefs d'entreprise ont souvent tendance à fonctionner plus par affinités que selon les compétences ou les responsabilités des directeurs concernés. Un tel comportement peut parfois créer des situations presque surréalistes. Par exemple, un PDG qui se sent plus proche de son directeur financier risque d'aborder des problématiques de ressources humaines ou des questions stratégiques avec lui alors que d'autres directeurs seraient a priori mieux placés pour répondre.

Si un dirigeant souhaite vraiment donner l'impression d'un travail d'équipe tout en augmentant sa propre emprise sur les décisions importantes, rien ne vaut un comité de direction étendu. Dans une des entreprises étudiées, le DG disposait de pas moins de 19 personnes placées haut dans la hiérarchie qui lui répondaient toutes en direct. Dans ce genre de situation, le travail en commun est bien sûr quasiment impossible, avec des réunions rares et uniquement à but informatif. Pourtant, le fait de privilégier des liens organisationnels directs avec autant de monde crée l'image d'un dirigeant dont la gestion est basée sur la consultation. En réalité, plus la fragmentation de l'équipe augmente, plus on a tendance à constater une prise d'influence du PDG.

 

Dans les cas les plus extrêmes, il est possible d'identifier des directeurs qui, dans la pratique, ne bénéficient d'aucune marge de manoeuvre ni d'autonomie. Quand un nouveau PDG a été mis en place dans une des entreprises analysées, il s'est rendu compte que certains des directeurs nommés par son prédécesseur n'étaient que des exécutants et ne prenaient aucune décision eux-mêmes. Parmi eux, il y en avait même qui ne connaissaient pas le montant de leur propre budget.

Un tel changement de directeur général présente une occasion en or pour revoir l'état des relations entre directeurs, car une succession peut radicalement changer le mode de fonctionnement dans les hautes sphères d'une organisation. Quand les chefs d'entreprise s'expriment, on comprend que le travail participatif en équipe n'est pas pour la plupart d'entre eux une seconde nature. Il s'agit plutôt d'une compétence que certains ont choisi de développer parce qu'ils y voient un réel intérêt pour l'organisation.

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Commentaire 1
à écrit le 07/09/2011 à 9:11
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En France, dans l'entreprise ou l'administration les directeurs ne travaillent jamais en équipe par peur de se faire ravir leur leadership; le personnel doit être "béni oui oui", sauf quand les choses se dégradent c'est alors l'occasion de travaille...

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