Trois plaidoyers pour une démondialisation

A l'occasion du colloque "Protéger les intérêts économiques de la France : quelles propositions ?", qui se tient ce jour à l'Assemblée nationale, La Tribune publie l'opinion de deux politiques et d'un économiste, favorables au retour à un certain protectionnisme.
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Avant la crise de 2008, les choses étaient simples. Il y avait les chantres de la "mondialisation heureuse", de la croissance sans limites, du fameux « win win » qui permettait aux pauvres de s'enrichir et aux riches (les Occidentaux) de rester riches. C'était une telle évidence que presque tout le monde chantait la partition, économistes, politiques, entrepreneurs, intellectuels. Seul un petit village gaulois, à l'extrême gauche du monde, criait à l'imposture alors que les altermondialistes critiquaient, non la mondialisation, mais la façon dont elle prospérait. C'étaient au mieux des idéalistes, au pire des révolutionnaires. Aujourd'hui, les choses se brouillent, du moins en Occident. Le débat sur la démondialisation ou le protectionnisme est devenu un enjeu politique majeur. Il est même largement confisqué par les droites populistes ou conservatrices. Avec la mégacrise des banques, les tensions sur l'euro et la nouvelle ère d'austérité que tous les gouvernements nous promettent, plus personne n'ose désormais évacuer le sujet d'un revers dédaigneux de la main. Les élites elles-mêmes commencent à douter. La parole se libère et les tenants de la démondialisation sont désormais écoutés avant d'être critiqués par les experts.

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Modérer impérativement
un système financier devenu fou

Par Arnaud Montebourg,
député et candidat aux primaires de la gauche.

La crise est systémique, elle s'est propagée partout de la sphère financière à la sphère réelle. Nous voyons tomber un à un les mythes de la mondialisation financière et nous avons acquis la certitude que les remèdes monétaristes, même assouplis dans l'urgence, nous rapprochent un peu plus du vide. Ceux et celles qui, en France et en Europe, veulent tordre le bras et le niveau de vie au peuple pour ramener dès 2013 les déficits publics à 3 %, sont emmurés dans une foi irrationnelle et commettent une erreur économique et politique majeure.

Dans le cas de la France, l'OFCE estime que l'austérité budgétaire va coûter 2,8 points de croissance sur les deux années 2011 et 2012. Selon une étude du FMI, peu enclin au laxisme, un ajustement budgétaire de 1 point de PIB en période de crise entraînera une perte d'activité de 1 point, voire même 2 points, si tous nos voisins font simultanément la même chose avec pour corollaire une diminution des recettes fiscales de l'ordre de 0,5 point de PIB. Les politiques coordonnées d'austérité dans toute l'Europe organisent une saignée géante sur les peuples, rapprochent les économies de la récession et envoient l'euro dans le mur. Sortir de ce chaos exige de la lucidité, de l'intransigeance et des idées nouvelles. La lucidité consiste à regarder la réalité en face et non à tendre l'oreille et l'esprit aux humeurs irrationnels des marchés financiers.

On laisse agoniser la Grèce alors qu'il aurait fallu et qu'il faut toujours, comme je l'avais demandé en janvier 2011, restructurer sa dette comme celles des États les plus fragiles de la zone euro.

On laisse les marchés semer le chaos, les agences de notation tripler la charge d'intérêts sur les obligations des États alors que la Banque centrale européenne aurait pu et peut encore monétiser une partie des dettes souveraines autrement que par des interventions de rachats minimalistes et sans vision, sur les marchés secondaires.

On laisse prospérer le modèle bancaire "too big to fail" alors qu'il nous faut, en Europe, des banques plus petites et plus sûres. La mise sous tutelle des banques, et la sécurisation du système bancaire, est une intransigeance que justifie la menace qu'elles font peser sur les économies et les populations : fermeture des filiales des établissements financiers situés dans les paradis fiscaux, avec rapatriement obligatoire des avoirs appartenant aux ressortissants français sur le sol national, doublé d'une non-opposabilité du secret bancaire, séparation obligatoire des activités entre banques de dépôts et banques d'investissement, mise sous tutelle des établissements bancaires exerçant sur le sol national, sans indemnité du Trésor public, avec entrée dans le conseil d'administration de représentants du gouvernement, des usagers du crédit entreprises et ménages, et des salariés de la banque.

On laisse l'épargne abondante des Français se perdre sur les marchés internationaux alors qu'il est décisif d'organiser la nationalisation de la dette : imposer aux banques et aux compagnies d'assurances de détenir, en termes de ratios prudentiels, un volume réglementé d'obligations françaises ; permettre aux particuliers d'acquérir directement de la dette souveraine mise aux enchères via Internet (comme c'est le cas aux États-Unis). En dix ou quinze ans, nous pouvons relocaliser la dette à hauteur de 50 %.

Enfin, on veut faire payer les classes moyennes et populaires en lieu et place d'une taxation sur les transactions financières de 0,1 % que la France et l'Allemagne, même seules, peuvent sans risque mettre en oeuvre, et qui rapporterait près de 200 milliards d'euros chaque année. Je propose que le produit de cette taxation soit, pour partie, utilisé à alimenter le FESF (Fonds européen de stabilité financière) - afin de permettre aux États de disposer de financements à taux réduits - et un fonds européen de désendettement des États qui prendrait en charge le remboursement des dettes contractées par les États lors de la crise de 2008.

La démondialisation financière n'est pas un extrémisme d'un genre nouveau. Elle est une modération impérative d'un système devenu fou en train de faire sombrer l'euro et le pouvoir d'achat des populations d'Europe.

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Le protectionnisme ne doit plus être
un gros mot en politique

Par Nicolas Dupont-Aignan, député,
président de Debout la République,
candidat à l'élection présidentielle.

Le marasme de l'économie française, avec ses cohortes de millions de chômeurs et de nouveaux pauvres, atteint des proportions jamais vues. On aurait tort d'y voir pour principale cause la crise de 2008, qui aurait dégradé une conjoncture ne demandant qu'à revenir au beau fixe. Non, c'est à l'échelle de la décennie 2000 que peut s'observer ce qu'il convient d'appeler la véritable perte de substance économique, la lente mais inexorable désagrégation de notre tissu productif.

Les faits sont bel et bien là : depuis dix ans, l'industrie française a perdu 1 million d'emplois. Son secteur le plus emblématique, l'automobile, qui occupe dans notre pays jusqu'à un actif sur dix, a diminué sa production de 3,5 à 2,7 millions d'unités entre 2005 et 2008 ! Conséquence concrète des délocalisations massives d'emplois, la balance commerciale de notre pays, encore à l'équilibre à la charnière de l'an 2000, connaît un déficit chronique depuis plusieurs années, pour s'élever à près de 70 milliards d'euros pour ces douze derniers mois !

D'où vient cette sorte de Berezina au ralenti, que d'aucuns au pouvoir, résignés ou satisfaits, attribuent à des faiblesses de notre pays ? Bien sûr, il y a incontestablement des handicaps qui brident nos forces vives. Il y a surtout l'incroyable naïveté de nos gouvernants qui pratiquent tous, gauche et droite confondues, la même politique de l'euro cher et du libre-échange déloyal. En effet, l'Union européenne nous impose une politique de surévaluation monétaire qui renchérit d'autant plus nos produits à l'export que nos concurrents (Chine en tête) ne se privent pas de sous-évaluer systématiquement leur monnaie. La cherté de l'euro cumulée avec l'obsession de la lutte à outrance contre la dépense publique, sans jamais tenir compte de la nécessité d'entreprises compétitives pour générer des recettes, handicape notre économie, à la grande joie de nos concurrents. Ainsi, la France ne rebondira pas tant qu'elle ne sortira pas de l'euro. Mais, bien entendu, le principal problème de notre perte de compétitivité réside dans la mise en place d'un libre-échange intégral et déloyal, qui met en concurrence, d'un côté, de véritables esclaves soumis à un capitalisme sans foi ni loi, de l'autre, les ouvriers forcément "trop chers" des pays développés. Le contre-exemple allemand, sorte d'exception qui confirme la règle, ne doit pas faire illusion et ce, pour deux raisons. La première est que ce pays présente en réalité un important déficit commercial avec les pays émergents. La seconde est qu'il compense ce déficit par d'importants excédents avec... ses voisins européens !

Aussi, je propose un protectionnisme raisonnable, sélectif et modéré, des droits de douane permettant de corriger le dumping social et environnemental et de parvenir à équilibrer les balances commerciales. C'est une nécessité pour tout le monde, à commencer par la France, qui n'a rien à craindre d'une telle politique, tout au contraire, puisqu'elle connaît justement aujourd'hui un important déficit. D'ailleurs, prendre de telles mesures s'impose au minimum pour contrebalancer le protectionnisme multiforme (monétaire, tarifaire, réglementaire...) que nous imposent les Chinois, les Indiens... et même les Américains. Mais ce sera aussi tout bénéfice pour les peuples émergents qui sont en droit d'attendre une réorientation de leur économie nationale vers le développement domestique, la hausse des salaires, la création de services publics et de santé...

Sortir de l'euro, instaurer un protectionnisme modéré, baisser les charges, remettre les banques au service de l'économie réelle, etc., autant de leviers pour recréer de la croissance et enfin relocaliser sur notre sol le million d'emplois que le libre-échange déloyal nous a pris depuis dix ans. Le débat naissant sur le protectionnisme fut confisqué en 2007 par des candidats qui ne voulaient pas en entendre parler. 2012 doit être, cette fois, l'occasion de ce débat, de ce vrai choix différent pour la France.

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Le libre-échange et ses vrais-faux principes
Par Jacques Sapir économiste,
CEMI-EHESS.

Aujourd'hui une majorité de Français, mais aussi de Britanniques, d'Italiens ou d'Allemands se prononcent en faveur du protectionnisme. Le retournement de l'opinion est très net et la mondialisation ne fait plus recette. L'heure est plutôt à la démondialisation. La raison en est simple.

La mondialisation a reposé sur une idée constituée en paradigme - le libre-échange est mutuellement profitable pour tous - et sur une réalité - la stratégie de grands groupes transnationaux à la recherche du profit maximal.

La thèse selon laquelle le libre-échange est nécessairement profitable au plus grand nombre est ancienne. Elle fut exprimée dès le début du XVIIIe siècle. Elle repose sur un certain nombre de fausses affirmations.

Le libre-échange, c'est la paix, nous dit-on, en oubliant que les nations les plus avancées, comme la Grande-Bretagne au XIXe siècle, n'ont pas hésité devant la guerre pour imposer ce libre-échange aux autres. L'histoire des guerres de l'opium devrait suffire à tordre le cou à ce canard.

Le libre-échange, c'est l'expression de la concurrence, et donc le progrès matériel pour tous. Mais, c'est oublier que la concurrence n'est pas le modèle central de l'économie. L'industrie se caractérise plutôt par la coopération entre métiers que par la concurrence. Celle-ci, pour pouvoir accéder au statut de paradigme, implique - entre autres - que l'on vérifie une théorie des préférences individuelles stables et transitives. Or, la psychologie expérimentale a établi justement l'inverse.

Le libre-échange est mutuellement profitable à tous, affirme-t-on. Pourtant, si l'on constate un développement des entreprises (et des entrepreneurs) dans les pays émergents, cela se fait largement au détriment tant des travailleurs de ces pays dont les conditions d'existence se dégradent parfois dramatiquement (comme en Inde, au Bangladesh ou dans certains pays d'Afrique) que des travailleurs des pays les plus avancés. La baisse du revenu médian (et non du revenu moyen) des salariés, que ce soit aux États-Unis ou en France, l'indique nettement.

Mais il est clair que la mondialisation a favorisé les grands groupes transnationaux. Ces derniers, avec la chute des barrières tarifaires, ont pu mettre en concurrence les travailleurs d'un pays à l'autre. Ils ont reconstitué l'armée de réserve du capital dont Marx, après bien d'autres, signalait l'existence au XIXe siècle, à l'échelle mondiale. La mondialisation est la principale source de la fantastique déformation de la structure des revenus que l'on connaît, que ce soit à l'échelle des différents pays industrialisés ou désormais à l'échelle mondiale.

Le mécanisme consiste à exploiter la possibilité de réaliser des gains de capitaux extrêmement importants grâce à des investissements directs dans un certain nombre de pays mais sans avoir à payer des hausses de salaires équivalentes. Ainsi a-t-on vu, dans le cas de la Chine, la productivité dans certaines branches de l'industrie passer en quelques années de 15 % de la productivité de l'Allemagne à plus de 40 %. Or, les salaires n'ont pas augmenté (quand ils ont augmenté, ce qui ne fut pas toujours le cas) dans des proportions similaires.

On voit alors où se noue le problème. Il n'est pas dans les pays à faible productivité mais dans ceux où se font les investissements et où le niveau de productivité devient peu à peu équivalent à celui que nous pouvons connaître dans nos pays. Une variante de ce problème concerne aussi les normes écologiques dont le respect coûte cher, et qui sont non seulement inappliquées mais tout simplement inconnues dans un certain nombre de pays, y compris aux États-Unis (voir le protocole de Kyoto).

C'est pourquoi il est urgent de corriger ces déséquilibres, que ce soit par une taxe calculée sur le coût salarial réel par branche en ce qui concerne le dumping salarial et social auquel se livrent certains pays ou par une taxe carbone pénalisant les pays qui n'appliquent pas des réglementations similaires aux nôtres.

Notons ici que ces taxes n'interdisent nullement le commerce, mais elles retirent une partie de l'avantage que l'on peut avoir à délocaliser une production. Notons que ces taxes faciliteraient une convergence par le haut des normes salariales et écologiques avec les pays émergents. Les dirigeants des entreprises auraient beaucoup plus de mal à résister aux revendications salariales ou écologiques de leurs propres travailleurs et de leurs populations. Ces taxes gagneraient à être appliquées par plusieurs pays. Mais nous ne devrions pas hésiter à les appliquer unilatéralement, s'il le fallait.

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Commentaires 3
à écrit le 14/09/2011 à 20:54
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La mondialisation a fait des gagnants et perdants.Un emploie crée à Airbus rayonne en salaire donc en irradiation économique beaucoup plus qu'un emploie perdu dans une fabrique de jouet en Ardeche ou ailleurs.Dans ces domaines de hautes technologies ...

à écrit le 14/09/2011 à 9:03
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sur le reste de Mr SAPIR : le libre échange se fait aux détriments des travailleurs : vieille antienne communiste qui ne résiste pas à l'analyse des faits. Contrairement à ce que Mr SAPIR affirme, allez consulte les chiffres de l'OCDE et de l'INSE...

à écrit le 14/09/2011 à 9:00
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J'aime bien Mr SAPIR, mais c'est lui qui dit des bétises : Le libre échange amène la paix, c'est tout à fait vrai, seule le commerce ne veut pas la guerre, car on ne gagne pas d'argent à faire la guerre. L'exemple que ce monsieur prend est un p...

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