"Le remède choisi pour la crise à travers le monde est pire que le mal"

L'ancien chancelier de l'Echiquier britannique critique le manque de leadership de la France et de l'Allemagne pour répondre à la crise de la zone euro.
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En tant qu'homme qui a sauvé les banques, Alistair Darling peut se permettre de donner quelques leçons à la zone euro. Chancelier de l'Échiquier de 2007 à 2010, choisi pour ne pas faire d'ombre à Gordon Brown, alors Premier ministre, il se retrouve propulsé au coeur de la crise financière à l'automne 2008. Dans un livre qu'il vient de publier (1), il raconte comment le 7 octobre, il a réussi à prendre le monde entier par surprise en présentant un plan de sauvetage particulièrement osé, recapitalisant de force deux banques britanniques, RBS et Lloyds. Il révèle comment il a tenu secret son plan - même aux banques - pendant une dizaine de jours, afin de bénéficier de l'effet de surprise. C'est à la lumière de cette expérience que sa critique du manque de "leadership" dans la crise de l'euro, et dans le G20, est pertinente.

Le 7 octobre 2008, vous présentez le plan de sauvetage des banques britanniques. C'est le tournant de la crise et les marchés se calment. Pourquoi est-ce que cela a marché ?
Il y avait bien sûr l'aide réelle que cela apportait aux banques, mais la clé du succès relevait de la psychologie. Le plan envoyait un signal clair que nous étions prêts à tout faire pour soutenir les banques et éviter que l'économie ne s'effondre. Mais pour réussir cela, il fallait agir de façon décisive, aller au-delà de ce que les gens attendaient et rapidement. C'est exactement ce qu'il manque aujourd'hui dans la zone euro. Il faut montrer aux marchés que vous agissez, rapidement et plus que le strict minimum. Sinon, il faut revenir en permanence pour en faire toujours un peu plus, et les marchés perdent confiance. On a essayé les deux approches. Celle de 2008 a marché, celle de 2011 ne marche pas. Il faut en tirer les leçons.

Nicolas Sarkozy et Angela Merkel sont donc trop hésitants ?
Il va falloir de la volonté politique. Parce que l'alternative, juste attendre, signifie que le problème ne va pas s'arrêter à la Grèce, mais passer à l'Irlande, au Portugal, puis aux grands pays, Espagne, Italie... Si le feu se répand, cela va nécessiter vraiment beaucoup d'efforts aux autres pays pour l'éteindre et l'ensemble de la zone euro risque d'éclater. Ce serait un désastre pour l'Europe, y compris pour le Royaume-Uni.

Que faut-il faire ?
Le choix n'est pas entre ne rien faire, ou mettre en place un Etat européen fédéral, parce que ce ne serait pas réaliste politiquement. Ce qui est nécessaire est un plan de sauvetage pour la Grèce qui donne vraiment l'impression que cela va marcher. Il faut aussi montrer que vous êtes prêt à faire la même chose pour un autre pays si besoin. Votre détermination ne doit pas pouvoir être mise en doute. Si vous faites cela, les marchés vous donneront du temps pour régler les autres problèmes. Mais cela nécessite un vrai leadership, et cela ne peut venir que de la France et de l'Allemagne.

Les pays de la zone euro ont essayé, mais c'est difficile parce qu'il y a dix-sept pays, avec de longs processus parlementaires...
Je comprends. Mais cette fois-ci, cela ne peut pas fonctionner comme cela. Il y a trois ans, ce qui a fait agir était la peur. Ce serait bien mieux d'agir en amont.

Vous croyez que les pays de zone euro vont y arriver ?
Non, en ce moment, je ne vois pas cela se préparer. Mais tout cela peut changer rapidement. Si nous ne faisons pas attention, nous allons avoir une nouvelle crise et plus cela se répandra, plus cela sera difficile à arrêter. Résoudre le Portugal et la Grèce est possible. Mais l'Italie et l'Espagne ? C'est différent.

D'un point de vue économique, n'est-on pas en train d'assister à un retranchement général, à l'exact opposé de la relance coordonnée mise en place lors du G20 de Londres, en avril 2009 ?
Oui, absolument. En 2009, les pays du G20 étaient unis dans leur objectif. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Le président Obama a des problèmes politiques, la zone euro est divisée... Tout le monde veut se désendetter en même temps. Bien sûr, il faut être inquiet pour la dette, mais si l'économie est étouffée, cela fera augmenter les déficits. Le remède mis en place à travers le monde est pire que le mal. Nous allons dans la mauvaise direction.

Le Royaume-Uni est l'un des premiers pays à avoir imposé la rigueur. N'est-il pas responsable ?
Oui, nous avons une responsabilité. C'est la mauvaise politique. Nous avons encore beaucoup d'influence dans le monde, et la politique mise en place par les conservateurs contribue au problème.

Le problème est que la plupart des pays estiment ne plus avoir le choix, parce qu'ils seraient punis par les marchés autrement...
C'est exactement pour cela qu'il faut relancer de façon coordonnée, tous ensemble. Dans ces conditions, les marchés ne pourront pas facilement condamner ceux qui dépensent. Il faut un vrai « leadership » à travers le monde, et agir ensemble.

Dans ce contexte, la présidence du G20 de la France est-elle efficace ?
Il va falloir beaucoup de travail. Le succès du G20 à Londres s'explique parce que Gordon Brown avait voyagé dans le monde entier pour le préparer. Cela ne peut pas juste se passer uniquement le jour de la réunion. Malheureusement, le travail préparatif ne semble pas se mettre en place cette fois-ci. Mais l'un des problèmes est qu'il est difficile de demander au monde entier de se mettre ensemble quand on vient de la zone euro, qui ne semble pas être capable de résoudre ses propres problèmes.

Et les Etats-Unis ? Ne manquent-ils pas de leadership ?
Il y a un problème de politique intérieur aux Etats-Unis, et l'année avant les élections est souvent une année gelée. Mais je souhaiterais que les Américains jouent un rôle plus important, parce qu'un accord ne peut pas se passer sans eux.

Tout ceci est bien pessimiste...
C'est parce que je suis pessimiste.

Vous avez augmenté l'impôt à 50% pour les plus riches quand vous étiez chancelier, mais vous aviez beaucoup hésité à le faire. Craigniez-vous que les banquiers déménagent en Suisse ou ailleurs ?
Non, les banquiers n'iront sans doute pas ailleurs en Europe. L'idée que tout le monde va partir en Suisse est absurde. Les gens aiment Londres pour beaucoup de raison : les écoles, la culture, etc. Mais ce qui m'inquiète est qu'ils partent en Asie. Beaucoup de ces gens n'ont aucune loyauté.

Revenons à la crise de 2008. La faillite de Lehman Brothers est connue. Ce qui l'est moins, c'est que le week-end auparavant, Barclays négociait le rachat de la banque américaine. L'affaire a capoté en partie parce que vous avez refusé de donner une garantie à Barclays, que les Américains vous demandaient. Le regrettez-vous ?
Pas du tout. Si j'avais soutenu Barclays dans son acquisition de Lehman, étant donné ce que l'on sait aujourd'hui de l'état dans lequel était Lehman, je crois que je n'aurais pas survécu en tant que chancelier de l'Echiquier. On ne nous avait pas vraiment dit quel était le deal exactement.

Votre explication est politique. Mais économiquement, n'aurait-il pas fallu éviter la faillite à tout prix ?
Je ne voulais pas que le contribuable britannique soit utilisé pour soutenir une banque américaine. Ce que je ne comprends pas non plus, c'est pourquoi les Américains ont changé de position par rapport à Bear Stearns et n'ont pas sauvé Lehman.

Vous l'ont-ils expliqué ?
Politiquement pour eux, nationaliser Freddie Mac et Fannie Mae (deux établissements émetteurs de prêts immobiliers, ndlr) leur avait coûté très cher. Je crois tout simplement que leur capital politique avait disparu. Ce n'était plus possible pour eux de continuer à nationaliser. Mais c'est un bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire... Cela a provoqué une panique à travers le monde. C'est pour cela que quand Royal Bank of Scotland a été en graves difficultés quelques semaines plus tard, je n'avais pas le moindre doute qu'il valait la sauver.

Terminons par un dernier point : pendant treize années au pouvoir, le parti travailliste a prôné la dérégulation des marchés et le capitalisme financier. Avez-vous une responsabilité dans la crise ?
Vous avez raison. Il y avait une atmosphère générale, chez les conservateurs et les travaillistes, pendant une dizaine d'année, en faveur de la régulation "light touch", qui est un terme que je n'ai moi-même jamais employé. De plus, les banquiers nous rapportaient d'énormes recettes fiscales qui payaient pour les hôpitaux et tout le reste. Personne ne se plaignait des bonus en 2002 ou 2003... De plus, la hausse de la consommation venait en grande partie de la hausse des prêts. Mais d'où venaient ces prêts ? Personne ne posait de question trop difficile à l'époque. Personne ne demandait pourquoi il y avait tant d'argent.
 

(1) Back from the brink, d'Alistair Darling, édition Atlantic Books, 2011.

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Commentaires 2
à écrit le 18/09/2011 à 5:05
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Les officiers britanniques étaient maîtres dans les manoeuvres consistant à déplacer, par surprise, sans trop de grogne ni de désordre, des troupes importantes (voire des populations entières) d'un point A à un point B. Apparemment, cette maîtrise a ...

à écrit le 16/09/2011 à 20:45
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Explication éclairante, honnêteté de reconnaitre ses erreurs et plan d'action dont j'espère que les gouvernements s'inspireront.

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