Crise de l'euro : le coût de la politique du pire

Par Mohammed Agouni, président d'Europa Corporate Business Group (ECBG), ancien DG délégué d'une grande banque  |   |  746  mots
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Le manque de solidarité des grands pays de la zone euro, notamment l'Allemagne, peut coûter très cher. Il est pourtant de l'intérêt de tous, et en premier lieu de la France et de l'Allemagne, de sauver le soldat grec.

Rien ni personne ne peut reprocher à l'Allemagne sa rigueur et son anticipation austère des conséquences de la crise. Mais rien ni personne ne peut l'excuser si la crise de la dette souveraine se transformait en crise systémique de la zone euro.

Pendant que Mme Merkel révise à la hausse les prévisions de croissance de son pays pour 2011 à 3 %, le peuple allemand lui reproche à près des trois quarts sa gestion de la crise. Il y a probablement dans ce sondage le refus des Allemands comme d'ailleurs des Français, des Autrichiens et des Néerlandais, de verser ce qu'ils considèrent comme de l'eau dans le sable. Pire, les peuples dits riches, outrageusement confortés par leurs leaders au pouvoir ou dans l'opposition, ont l'impression de se faire avoir. Étrange contradiction !

L'Europe, qui a tant bénéficié de l'aide américaine après-guerre, trouve normal de ne pas aider son propre peuple. Dans toutes les familles, on a tendance à oublier nos cousins pauvres, mais on ne peut faire semblant qu'ils ne sont pas des nôtres. Honte sur cette Europe qui veut punir au lieu d'aider ; qui veut étrangler avant de soigner.

Mais surtout, honte sur cette Europe qui ne veut pas regarder ses propres intérêts. Certaines vérités de monsieur de La Palice s'imposent à toutes les fourmis ou prétendues telles du Vieux Continent.

Le ralentissement de la croissance des pays clients de l'Allemagne aura des conséquences plus coûteuses pour l'économie allemande que la prise d'une perte sur la dette souveraine. Pour exporter, il faut des importateurs. Les modèles des pays du sud de la Méditerranée sont fondés sur la demande intérieure. L'angoisse et l'incertitude ne font que contracter cette demande. En deçà d'un certain seuil, les recettes fiscales et les équilibres sociaux sont menacés. Adieu alors règles d'or et importations, l'Allemagne aura en face d'elle des pays incapables d'importer et incapables de réduire leur dette. Dans ce paysage, l'économie exportatrice se transformera en économie sans clients. La relance après cela n'est pas affaire de centaines de milliards mais de milliers de milliards qu'aucune puissance n'est désormais capable d'assumer.

La politique du pire est également de ruiner un secteur financier somme toute assez sain si l'on en croit les "stress tests" opérés cet été par les autorités de régulation. Comment peut-on vouloir que les banques prennent obligatoirement de la dette souveraine (souvenons-nous des débats de cet été) et leur taper dessus lorsqu'elles en ont même en quantités homéopathiques dans leur portefeuille. À la prochaine demande de madame Merkel de faire participer les banques à l'effort de solidarité européen, celles-ci l'enverront aimablement sur les roses.

Le problème des banques françaises n'est en aucune façon celui de la dette grecque malgré la nervosité injustifiée des marchés sur le sujet. Le vrai problème est celui du provisionnement du "goodwill" [écart d'acquisition, Ndlr] sur les acquisitions de la période euphorique. Contrairement à ce que l'on entend, la crise des activités de banque d'investissement des banques françaises est dépassée. Celle de "l'impairment test" sur les non-valeurs du bilan ne l'est pas. La politique du pire, en fragilisant la croissance des États, rendrait sans valeur ces non-valeurs. C'est cela le danger qui pourrait créer la crise systémique la plus sévère de l'histoire récente.

En pratiquant la politique du pire du père Fouettard, madame Merkel est en train d'agir contre son pays, contre l'Europe et contre les valeurs qui fondent chacune des nations de ce continent.

Le rapport de force avec les Grecs va nous créer un rapport de faiblesse avec nos économies. De ce point de vue, le rachat de la dette souveraine par la Banque centrale européenne (BCE), quoique peu orthodoxe, est peut-être l'instrument qui va ramener madame Merkel à la raison. Les pertes potentielles que pourrait essuyer la BCE sur son portefeuille de dette souveraine sont un cauchemar pour les Allemands qui y voient le spectre d'un mark faible et d'une inflation galopante. Je parierai plus volontiers sur une Allemagne qui viendrait au chevet de la BCE, que sur une Allemagne qui viendrait au chevet des autres États.

À défaut d'une solidarité noble, sereine et organisée, l'Allemagne prend le risque d'une solidarité subie, rejetée par les peuples et frustrante pour eux.