Non, l'écologie n'est pas l'ennemie de l'emploi

Par Serge Orru  |   |  808  mots
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Par Serge Orru, directeur général du WWF France.

Empêcher le péril climatique, stopper la perte de la biodiversité et vaincre la misère sont les défis planétaires auxquels nous devons faire face au XXIe siècle. Comment produire de la richesse sans détruire notre environnement ? C'est la question que pose le WWF, et c'est l'équation que nos sociétés doivent résoudre avec volonté et imagination.

La question de la précarité, et plus largement du chômage, reste la préoccupation majeure des Français. Touchant à la dignité de la personne, cette problématique relègue souvent au second plan la question environnementale. Pourtant, la transversalité de cette question répond au double défi sociétal et environnemental pour peu que nous ayons le courage d'interroger, avec lucidité, les fondements de notre modèle de développement.

En une année, nous dévorons en énergie fossile et fissile ce que la Terre a mis un million d'années à constituer... Est-ce moderne de perpétuer ainsi un système entraînant l'humanité dans la précarité ? Est-ce responsable pour un pays comme le nôtre de ne pas engager la transition énergétique en investissant massivement dans les énergies renouvelables ? Dans un pays qui compte plus de 3 millions de chômeurs et des centaines de milliers de travailleurs précaires, il est de notre responsabilité de nous engager pour des droits humains et sociaux pour que puisse éclore la solidarité écologique.

Des études réalisées ces dernières années ont montré que les politiques menées en faveur de la protection de l'environnement étaient fortement créatrices d'emplois. Le ministère de l'Ecologie a recensé 950.000 emplois liés à la protection de la biodiversité. Souvent liées à l'écologie de réparation, ces éco-activités relèvent majoritairement de technologies de fin de cycle, dites "end-of-pipe", relevant de secteurs aussi variés que la récupération de matériaux, la réhabilitation des sols, le traitement des déchets ou encore le retraitement des eaux usées.

Pourtant, il n'en reste pas moins que ces activités sont liées à des nuisances ou à une surconsommation des ressources, ce dont nous, écologistes, ne pouvons nous satisfaire. Même si la croissance des "éco-emplois" est deux fois supérieure aux secteurs traditionnels, pour passer d'un modèle économique jetable à un modèle économique durable et humainement soutenable, il convient de mettre en priorité la reconversion écologique de notre économie dans nos territoires.

A cet effet, le Grenelle de l'environnement prévoit de développer les métiers "verts" en consacrant 440 milliards d'euros d'ici à 2020 pour les secteurs les plus concernés, à savoir, l'agriculture, le logement, le transport et les énergies renouvelables.

A ce sujet, une étude de Dominique Vérot, de la Fnab (Fédération nationale d'agriculture biologique), a démontré que l'agriculture bio nécessite 2 fois plus de main-d'oeuvre que l'agriculture conventionnelle. Problématique non négligeable pour un secteur qui perd 35.000 emplois par an et qui voit le nombre de souffrances de ses paysans croître dramatiquement.

Dans le secteur de l'énergie, l'Union pourrait économiser 20% de sa consommation actuelle d'énergie, et ainsi créer directement ou indirectement plus d'un million d'emplois en Europe. En effet, l'effet indirect est lié au "redéploiement" dû aux réinvestissements des économies financières entraînées par des économies d'énergie. En 2004, le rapport Mitre évaluait une création nette de 374.000 emplois en France en 2020 ! La reconversion écologique de l'économie passe donc par une politique de l'emploi ambitieuse liée à une réorientation radicale de la filière de la formation scolaire et professionnelle.

Le bac STI (sciences et technologies industrielles) s'est récemment transformé en STI2D pour "développement durable". Le changement climatique est au programme des études de tourisme et la biodiversité est désormais prise en compte dans les études d'urbanisme. Pourtant, les métiers de la croissance verte peinent encore à se développer là où l'urbanisation gagne du terrain. En Île-de-France par exemple, ils ne représenteraient qu'un emploi sur mille. Au total, c'est un peu plus de 11.500 "bio-emplois" qui ont été comptabilisés.

A l'aune de l'élection présidentielle, il est temps de montrer que l'écologie n'est nullement ennemie de l'emploi. Au contraire, elle le nourrit et le réinvente. Fort de ses 5.000 experts et de ses cinquante années de combat pour une planète vivante, le WWF compte prendre toute sa part dans ce débat. Nous souhaitons expliquer, éclairer, démontrer sans caricaturer, sans nier les contradictions ou les ambivalences qui pèsent sur chacun de nous, car nul ne peut gouverner contre l'avenir !

 

 

(Le WWF France organise ces jeudi et vendredi un Green Forum, en partenariat avec La Tribune, qui a pour thème "La (re)conversion écologique de l'économie, source d'emplois !")