L'indispensable consolidation de la filière européenne des "technos-médias-télécoms"

L'Europe doit-elle se protéger pour préserver son industrie, ses savoir-faire et ses emplois ? La question est au coeur des débats alors que les entreprises des pays émergents partent, elles aussi, à la conquête des marchés extérieurs. "Protectionnisme ou compétitivité" : c'est le thème choisi pour les 7es Rencontres de l'entreprise européenne qui se dérouleront le 18 octobre prochain, un partenariat entre La Tribune, Roland Berger Strategy Consultants et HEC. Cinquième volet : les télécoms au sens large (équipement, électronique, multimédia).
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La polémique née lors du lancement par le gouvernement de l'opération "une tablette à 1 euro par jour" pour les étudiants, fin septembre, a remis en lumière le débat sur le soutien aux acteurs nationaux. Le patron et fondateur de la société française Archos, Henri Crohas, qui fabrique des baladeurs et des tablettes, s'est offusqué de ne pas avoir été choisi par l'opérateur Orange qui lui a préféré l'iPad du californien Apple et la Galaxy Tab du sud-coréen Samsung.

Thierry Mandon, député PS de l'Essonne, où est installée Archos, avait écrit au ministre de l'Enseignement supérieur qu'il jugeait "particulièrement dommageable" qu'il "n'encourage pas plus fortement l'industrie nationale ou, à tout le moins, ne la soutienne pas au même titre que ses compétiteurs américains et coréens".

Le ministre, Laurent Wauquiez, s'est défendu en expliquant que le système d'Archos n'était "pas totalement stable" et que son rôle n'était pas de "faire le VRP des constructeurs". En avril 2010, Nathalie Kosciusko-Morizet, à l'époque en charge du numérique, avait au contraire affiché sa préférence pour la tablette d'Archos jugée plus légère que l'iPad...

La déferlante américaine et asiatique a déjà fait, en une décennie, des ravages dans le secteur de l'électronique, de la téléphonie et du multimédia. "Depuis les années 2000, les grands champions européens, les Nokia, Sagem, Alcatel, Thomson, Philips, etc., ont subi un effondrement extrêmement rapide et violent de leurs positions", observe Nicolas Teisseyre, associé du cabinet de conseil Roland Berger. "Un déplacement de valeur très fort s'est opéré de l'Europe vers les États-Unis et l'Asie, à la fois dans les marchés grand public et entreprises, et cela sans qu'il soit besoin de créer des barrières dans ces régions : les acteurs américains et asiatiques ont su créer la différence en matière d'innovation pour les uns, et de coûts de production pour les autres", ajoute cet expert.

À titre d'exemple, au pays d'Apple et de Motorola, le premier vendeur de téléphones mobiles est Samsung, suivi de LG. Et depuis 2001, la Chine a abaissé de 47 % ses droits de douane sur les équipements télécoms tout en renforçant sa compétitivité, et les États-Unis de 7 %, tandis que l'Union européenne relevait les siens de 19 %. Cela dit, le marché américain reste une forteresse imprenable pour les équipementiers télécoms chinois Huawei et ZTE (lire ci-contre), alors qu'ils ont établi des relations commerciales avec la plupart des opérateurs européens.

Si l'Europe avait pris des mesures protectionnistes, aurait-on pu vraiment éviter la chute de Nokia de son piédestal, la disparition de marques comme Alcatel et Sagem dans les mobiles ou Thomson dans la télévision, désormais réutilisées par des Chinois ? "Le secteur européen des équipements de télécoms et de médias n'a pas su prendre les bons virages industriels ni exploité tous ses atouts. La part de marché de Sagem était forte en France mais pas uniforme en Europe. Nokia n'a pas pris le tournant du développement des interfaces", constate Nicolas Teisseyre. Les fabricants de téléviseurs n'ont pas su profiter de la montée en gamme vers les TV connectées. Or le marché s'est fortement "polarisé sur quelques modèles, comme l'illustre le marketing monosegmenté d'Apple ainsi que le resserrement des gammes opéré chez Samsung et LG", relève-t-il. À l'inverse, les acteurs européens ont souvent conservé des gammes très profondes, dont le maintien de la commercialisation est coûteux. Des mesures protectionnistes auraient surtout bridé les usages des consommateurs et pénalisé les opérateurs sur les coûts d'achat des équipements.

"À l'avenir, l'enjeu n'est pas tant d'appliquer des barrières pour surprotéger de petits acteurs que de retrouver la masse critique et une capacité de standardisation. Il faut reconstituer une filière TMT (technos-médias-télécoms) sur le modèle du GSM en Europe, qui souffre d'être une somme de micromarchés, avec des microrégulations et des microacteurs", appelle de ses voeux l'expert de Roland Berger. Il s'étonne par exemple que chaque pays définisse son mode d'attribution des licences de téléphonie mobile 4G ou de déploiement de la fibre optique. La solution se trouve, selon lui, dans "la consolidation dans tous les domaines de la chaîne de valeur, un mouvement de rapprochement entre opérateurs et équipementiers, un raisonnement par filière car les frontières entre les métiers n'ont plus de sens". Et de suggérer qu'il y a "peut-être quelque chose à faire autour de France Télécom, Atos, Capgemini, Bull et Technicolor... "

Il se prend à rêver d'une "initiative de la France et de l'Allemagne" et d'une "politique communautaire ambitieuse dans le secteur". Les grands patrons européens du secteur, dont Jean-Bernard Lévy, de Vivendi, et Ben Verwaayen, d'Alcatel-Lucent, sont montés au créneau cet été auprès de Neelie Kroes, la commissaire en charge du numérique, demandant que l'Europe soutienne les éventuelles "fusions transfrontières" qui seraient nécessaires pour atteindre des économies d'échelle ou renforcer leur spécialisation. En concluant que "la compétitivité européenne est en jeu".

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