"Avec le niveau de notre dette, les priorités budgétaires seront peu nombreuses"

Laurent Fabius précise les positions de la candidate à la primaire socialiste sur la mondialisation et la lutte contre les déficits.
REA

Le protectionnisme européen prôné par Arnaud Montebourg est-il compatible avec les idées défendues par Martine Aubry ?

Notre conception est que l'Europe doit être à la fois offensive et défensive. Offensive, cela signifie qu'elle doit être plus active dans les politiques qu'elle mène, dans les domaines de l'innovation, de la recherche, de l'énergie, de la politique industrielle, dans la conversion écologique. C'est là où se trouve la croissance. Défensive, car l'Europe doit savoir se défendre, ne doit plus être cet "idiot du village international", selon le mot d'Hubert Védrine. C'est vrai que la plupart des pays-continents se protègent, Chine, Etats-Unis, Brésil, c'est vrai que les monnaies sont utilisées comme des outils commerciaux et politiques, alors qu'en ce qui concerne l'Europe il y a de la naïveté. Il faut réguler beaucoup plus efficacement la mondialisation, notamment sur le plan monétaire, sur le plan commercial, sur le plan des marché publics. Et cela peut passer par des mécanismes de taxation pour égaliser des conditions de concurrence. L'essentiel, en fait, est d'exiger une réciprocité réelle. Ce que Martine Aubry et les partis de gauche européens appellent le "juste échange".

Que préconisez vous s'agissant de la gouvernance des banques, l'Etat doit il être interventionniste ?

Les banques françaises n'ont pas vraiment tiré les leçons de la crise de 2008, notamment en matière de fonds propres. Le gouvernement non plus, qui n'a pas fait suffisamment changer les pratiques : les traders continuent de percevoir des primes colossales, des dividendes sont distribués en masse et la spéculation constitue toujours la principale activité bancaire. Madame Lagarde, dans ses nouvelles fonctions au FMI a sonné récemment l'alarme sur la sous capitalisation des banques européennes, alors qu'elle disait l'inverse quand elle était encore ministre des Finances. Les banques se retrouvent fragilisées du fait des menaces sur les dettes souveraines. Les actionnaires devront apporter leur contribution. L'Etat, s'il le fait directement ou par les mécanismes européens, devra cette fois ci, agir de façon efficace et conditionnelle, avec une présence dans les conseils d'administration et les instances de décision. Nous devrons, comme le prévoit le projet socialiste, séparer les activité de dépôt et d'affaire; changer les pratiques de rémunération quand elles sont excessives, interdire certaines opérations pour compte propre et faire davantage contribuer les banques à l'économie réelle, en direction notamment des PME.

Martine Aubry a-t-elle raison de défendre les 300.00 emplois d'avenir, alors que François Hollande préfère le contrat de génération ?

Sur l'emploi, beaucoup est lié à croissance, à la fiscalité et au développement des PME. Les emplois d'avenir permettront aux jeunes de mettre un pied à l'étrier. Le contrat de génération, défendu par François Hollande, n'a pas été retenu dans le projet socialiste car il existe un sérieux doute sur son efficacité. Il tient plus de l'effet d'aubaine. De plus correspond-t-il à la réalité du vécu des entreprises où, dans les faits, on ne laisse pas un jeune avec un tuteur senior pendant trois ans ? Et financièrement, le risque est lourd d'une nouvelle niche de 8 milliards d'euros par an car le produit de la suppression de certaines exonérations de cotisations sociales censé compenser la dépense est déjà pour une part affecté et poserait de gros problèmes d'emploi. D'ailleurs les principaux syndicats n'en veulent pas.

Vous êtes un des représentants des partisans du "non" à la Constitution européenne au sein des soutiens de Martine Aubry. Comment envisagez-vous aujourd'hui l'idée d'une plus forte intégration européenne pour surmonter la crise ?

L'analyse sans concession que le pro-européen que je suis avait faite voici cinq ans, et qui m'avait amené à prendre position contre la constitution, se trouve malheureusement confirmée aujourd'hui. Dans l'introduction de mon livre que j'avais alors écrit, je soulignais que l'Europe devait faire face à trois problèmes : le nombre des Etats membres, la solidarité et la puissance. Aucune de ces questions n'était réglée par le projet, aucune ne l'est encore aujourd'hui. A court terme, il convient de mettre en place une solidarité budgétaire et, tout en demandant de gros efforts aux pays en difficulté, ne pas leur imposer des exigences qui tuent la croissance. A moyen terme. Il ne peut y avoir de monnaie unique, s'il n'y a pas d'harmonisation économique, politique, fiscale et sociale. C'est une évidence. Mais certains pays sont plus volontaires que d'autres. D'où la nécessité d'organiser l'Europe en différents "cercles" d'intégration, notamment budgétaire. Mais parallèlement à cette intégration, il est indispensable de pousser la démocratisation. C'est pourquoi Martine Aubry récuse l'idée, a priori séduisante, d'un ministre des Finances européen qui ne rendrait compte à personne. L'Europe ne pourra avancer sans solidarité, ni sans contrôle démocratique et contre les peuples.

Quelles seront les conséquences de la crise de la dette sur la politique du prochain président de la république ?

Les contraintes seront fortes. Plus fortes que dans les années 1980 où nos déficits les plus élevés étaient de 3%. Aujourd'hui, la situation de la dette est préoccupante à la fois par sa valeur absolue, par la part élevée de la dette à court terme qui la rend sensible aux évolutions des taux et par le fait qu'elle est détenue majoritairement par des non résidents. Nos marges de man?uvre seront donc limitées. Notre objectif est d'abord de revenir à un déficit de 3% en 2013. Les priorités budgétaires devront être peu nombreuses. La vision de François Hollande, qui dit s'engager en outre sur un déficit zéro pour 2017, diverge de celle, plus pragmatique, de Martine Aubry, qui veut réduire fortement les déficits mais refuse de supprimer toute marge de manoeuvre et d'entrer dans une course à l'austérité généralisée. Elle veut tenir compte de la conjoncture évidemment inconnue à cet horizon. En matière budgétaire, il faut à la fois beaucoup de sérieux et du pragmatisme.

Le projet de loi de finances 2012 vous semble-t-il à la hauteur des enjeux ?

C'est un budget de fin de parcours. Les couches moyennes et modestes, les entreprises paient l'essentiel. La justice fiscale n'est pas au rendez-vous. Le réexamen des dépenses n'est pas effectué. Ni celui des dépenses. Si, par exemple, au lieu de plafonner les niches fiscales à 18.000 euros plus 6% des revenus, on ramène le plafond à 15.000 euros, on gagne un milliard d'euros. Si l'on supprime l'exonération des heures supplémentaires, on gagne 4,4 milliards d'euros par an. L'effort de 200 millions d'euros demandées aux collectivités locales va freiner leurs investissements. La poursuite systématique du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux traduit une vision trop dogmatique. Ce sont là quelques exemples.

Vous avez baissé les impôts en 2001. Le regrettez-vous aujourd'hui ?

Le contexte de cette baisse, d'ailleurs limitée, était très différent d'aujourd'hui : la croissance, la maîtrise budgétaire, le financement correct des services publics étaient alors assurés. Compte tenu de la crise et de la politique de la droite depuis dix ans, personne de raisonnable ne peut permettre aujourd'hui des allégements fiscaux généraux.

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Commentaire 1
à écrit le 14/10/2011 à 9:36
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" A moyen terme. Il ne peut y avoir de monnaie unique, s?il n?y a pas d?harmonisation économique, politique, fiscale et sociale"......... je pense qu'il veut dire que la france va arreter de jeter l'argent par la fenetre, et baisser son niveau de pre...

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