Libérez les idées !

Par Jacques Rosselin, directeur de la rédaction de La Tribune.
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L'idée que les idées doivent être libres pourrait bien être l'idée phare de la prochaine décennie." (*) L'auteur de cette prophétie est Steven Landsburg, professeur d'économie à l'université de Rochester. Comme de nombreux chercheurs, il peut être tenté de garder ses idées pour lui et son équipe ou de les partager avec sa communauté pour les enrichir, et en faire jaillir d'autres. Le proverbe est connu : "échange un oeuf contre un autre oeuf, tu auras toujours un oeuf dans la main. échange une idée contre une autre, tu en auras deux".

L'impact d'Internet sur l'innovation est majeur. Inventé par des universitaires, construit sur l'idée d'ouverture, il a fait exploser les échanges de données et accéléré la production d'innovations. Dans le secteur des nouvelles technologies, l'innovation se vend très cher. Google a payé 12 milliards de dollars pour les 17.000 brevets de Motorola et lorsque Nortel a fait faillite en juillet dernier, ses 6.000 brevets ont été rachetés 4,5 milliards de dollars par Apple et quelques autres, dont Microsoft et Ericsson. Un prix de marché semble presque se fixer autour de 700.000 dollars le brevet. Conçus à l'origine pour protéger et encourager l'innovation, les brevets sont aujourd'hui utilisés pour dissuader les concurrents et les nouveaux entrants, à la manière d'une arme nucléaire. Ce système de dissuasion industrielle est devenu à ce point absurde qu'il décourage les créateurs et conduit à la prolifération des "trolls" de la propriété intellectuelle, sociétés-boîtes aux lettres, sans activité de production, qui ne vivent que des litiges. L'une d'elles, Intellectual Ventures, a pourtant pignon sur rue. Elle ne produit rien mais a levé 5 milliards de dollars pour acquérir 35.000 brevets, véritables armes de dissuasion juridique qu'elle vend cher à ses clients. Coïncidence, elle est dirigée par son fondateur Nathan Myrvold (voir photo), ex-directeur du développement de Microsoft, une société connue pour son ouverture, son amour de la concurrence et sa capacité à innover...

La plupart des développeurs qui profitent de reversements de droits reconnaissent eux-mêmes que leurs logiciels ne peuvent être réellement considérés comme des inventions. Ils savent trop les vertus de l'intelligence collective dans un milieu où tout se périme vite. Conçus pour protéger l'innovation, les brevets sont peu à peu devenus une nuisance pour l'industrie de l'information et sont brocardés par les prêcheurs de la société "libre et ouverte", emmenés par Richard Stallman, gourou et fondateur de la Free Software Foundation, ou Lawrence Lessig, auteur du passionnant "Culture libre", un essai anti-brevets (**) ; une nuisance également pour l'économie - selon une étude parue en 1999 sur les sociétés cotées américaines, elles enregistraient 4 milliards de revenus issus des brevets... contre déjà 14 dépensés en procès ; enfin, plus généralement, une nuisance pour la société. Il suffit pour s'en convaincre de rappeler qu'elle bride la fabrication à bas prix de médicaments vitaux pour des pays en développement. Pour l'économiste iconoclaste Michael Kremer d'Harvard, la solution pourrait être que les gouvernements achètent les droits sur les brevets pour les placer dans le domaine public. Une telle solution ne peut convenir aux inventeurs et entrepreneurs de la génération Internet, libertaires méfiants. Pour mettre fin à cette guerre des brevets, qui ne profite qu'aux géants, il faudra sans doute être... plus inventif.

(*) Internetactu.net : "Quelques idées pour la prochaine décennie."

(**) Livre téléchageable sur Readwriteweb.com

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