Pékin-Dubaï-Lagos : la nouvelle Route de la soie

Pendant qu'une partie du monde occidental nourrit encore de nombreux mythes sur l'Orient, une nouvelle Route de la soie émerge à nos frontières, sans nous. Par Laurence Daziano (maître de conférences à Sciences Po, membre du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique) et François-Aissa Touazi (co-fondateur du think tank CapMena).
Une nouvelle route commerciale structurante relie la Chine à l'Afrique, en passant par le Golfe. Le tracé de cette nouvelle « Route de la soie » s'affermit progressivement avec une multiplication des échanges entre les matières premières, les infrastructures et les capitaux.

A l'heure où les pays émergents s'affirment sur la scène internationale, une nouvelle route commerciale apparaît qui, de la Chine à l'Afrique en passant par le Golfe, mêle capitaux, matières premières et infrastructures. La Route de la soie, qui reliait la Turquie d'Antioche à la Chine de Chang'an, a été abandonnée au cours du XVème siècle. Pendant presque deux millénaires, des marchandises précieuses comme la soie, le lin ou les épices ont transité le long de cette axe, entraînant la diffusion des découvertes chinoises : boussole, imprimerie, papier, monnaie... La Route de la soie a préfiguré la mondialisation, engendrant une intégration culturelle et politique des peuples situés le long de cette voie. Elle a structuré la croissance, les savoir-faire et la culture au carrefour de l'Occident et de l'Orient.

Il existe aujourd'hui une nouvelle route commerciale structurante qui relie la Chine à l'Afrique, en passant par le Golfe. Le tracé de cette nouvelle « Route de la soie » s'affermit progressivement avec une multiplication des échanges entre les matières premières, les infrastructures et les capitaux. Deux grands faits générateurs font émerger cette nouvelle route : d'une part, la croissance chinoise qui nécessite d'immenses besoins énergétiques et en matières premières ; d'autre part, l'ampleur de la croissance économique du Golfe a conduit ses dirigeants à s'intéresser davantage aux marchés asiatiques et africains.

Les matières premières sont la colonne vertébrale de cette nouvelle route : près des trois quarts du pétrole consommé en Chine proviennent du Moyen-Orient et d'Afrique. Le Nigeria, plus gros exportateur pétrolier d'Afrique, prévoit de convertir jusqu'à 7 % de ses réserves de devises en yuan. La Chine absorbe également 75 % des exportations congolaises de cuivre et près de 70 % des exportations sud-africaines de fer. Sur ce fondement, de nombreux échanges industriels et financiers se sont noués. La troisième plus grande mosquée du monde est actuellement construite à Alger par le groupe chinois, State Construction & Engineering Company, pour un montant de 1,3 milliard de dollars. Un quart de tous les investissements directs étrangers en Afrique subsaharienne, depuis 2006, provient de Chine.

Les relations commerciales ne cessent de se renforcer dans ce « triangle émergent ». Le commerce entre la Chine et l'Afrique s'établissait à 210 milliards de dollars en 2013, soit un niveau deux mille fois plus élevé qu'en 1960. Depuis peu, le premier partenaire commercial de l'Arabie Saoudite n'est plus les Etats-Unis, mais la Chine. Les exportations du Golfe en Afrique ont augmenté de 15% entre 2000 et 2010. Les investissements du Golfe concernent tous les secteurs économiques africains : finance, immobilier, téléphonie mobile, médias, agriculture. Ils contribuent ainsi à une plus grande diversification des économies subsahariennes.

Enfin, l'intégration économique de cette nouvelle Route de la soie se consolide à grande vitesse, à la hauteur des revenus générés par les hydrocarbures. D'ores et déjà, l'intégration culturelle se prépare. Concrètement, des millions d'Asiatiques sont déjà présents dans la région du Golfe. Le renforcement prochain d'Al Jazeera en Afrique devrait contribuer à nourrir le rayonnement du Qatar. En outre, l'investissement de 25 millions de dollars nécessaire au lancement de CNBC Africa, la chaîne d'information économique et financière, a été financé à 70% par un consortium de Dubaï. Et dans les années à venir, avec la multiplication des lignes aériennes entre le Moyen-Orient et l'Afrique, les échanges devraient se développer.

Pendant qu'une partie du monde occidental nourrit encore de nombreux mythes sur l'Orient, une nouvelle Route de la soie émerge à nos frontières, sans nous. Cette route du pétrole et des capitaux pourrait rapidement changer la donne économique mondiale. Assurément, un nouveau monde apparait autour des grandes mégapoles émergentes dans un axe reliant Pékin à Lagos en passant par Dubaï. Cet axe structure le monde de demain avec d'importantes classes moyennes et de nouvelles puissances désireuses de jouer un rôle accru sur la scène mondiale. Demain, cette nouvelle Route de la soie contribuera à déplacer le centre de gravité de la dynamique économique mondiale.

Il appartiendra, dès aujourd'hui, aux Européens de faire les efforts nécessaires pour ne pas rester à l'écart de l'Histoire.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 13
à écrit le 17/03/2017 à 9:56
Signaler
Toujours intéressant de reprendre un article "d'experts" avec le recul temps : La route de la soie maritime a bien une boucle par un part de l'Afrique de l'Est (Kenya). 2 ans 1/2 après, nous pouvons mesurer les dégâts et désordre causés par les méd...

à écrit le 21/10/2014 à 22:09
Signaler
L'analyse est pertinente

à écrit le 21/10/2014 à 20:33
Signaler
L'axe de la route de la soie et celle du polyester reste l'Europe où se déversent le flot d'immigrés et leur misère dans des barques de fortune.. les temps changent

à écrit le 21/10/2014 à 7:33
Signaler
lagos ? megalopole des annees 2020

à écrit le 20/10/2014 à 21:18
Signaler
Désolé mais cet article est assez incorrect. En fait, il n'existe pas un seul mais deux projets chinois pour la création des voies commerciales entre la Chine et les pays de l'Occident géographique (et pas forcément politique) : une par mer (la Nouve...

le 21/10/2014 à 11:11
Signaler
Il y'a la théorie, puis la pratique...et a l'heure actuelle la tres grande majorité des produits chinois et asiatique importé par l'Afrique, passent d'abord par Dubai avant d’être réexporté. Pas pour rien que le 9e plus important du monde est celui d...

à écrit le 20/10/2014 à 20:38
Signaler
la Chine est de plus en plus forte ! la fin de l'occident, RDV dans 20 ans

à écrit le 20/10/2014 à 18:32
Signaler
Que voulez-vous, que le pétrole Nigérian à destination de la Chine passe par l'UE juste pour nous faire plaisir ? L'histoire suit simplement son cours... Il y a maintenant une "nouvelle route de la soie", entre ces pays. Quoi de plus légitime ? et ...

à écrit le 20/10/2014 à 17:47
Signaler
Le Transsibérien sera bientôt relié aux nouvelles routes de la soie établies par la Chine. Un beau jour, au début des années 2020, il fera partie d’un réseau de trains à grande vitesse sino-russe reliant toute l’Eurasie en un rien de temps. Rien ne s...

à écrit le 20/10/2014 à 17:40
Signaler
Attention au renversement de situation. Sur La Tribune, nous avions vu que le Brésil allait tout écraser en Amérique du Sud

le 20/10/2014 à 17:49
Signaler
Quoi, comment écraser ? le Brésil ? où tu as vu ça ? c'est du délire ou… ?

le 20/10/2014 à 19:47
Signaler
Peut-être que monsieur parle de la selecao du Brésil en disant que celle-ci va "écraser" les autres nationales sud-américaines, j'estime.

à écrit le 20/10/2014 à 16:00
Signaler
Ce sera une route qui va bénéficier en principe la Russie, la Chine et leurs pays voisins. L'unique pays européen qui fignole avec les Chinois et Russes pour devenir le terminus occidental de cette route c'est l'Allemagne. Une fois l'UE finie, il ne ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.