Comment la voiture électrique est en train de faire mentir ses détracteurs

Par Didier Julienne (*)  |   |  1220  mots
Didier Julienne. (Crédits : Patrick FITZ / M&B)
CHRONIQUE. A l'occasion de la tenue du congrès Electric Road (1), il convient de rappeler la désinformation sur le développement de la production de voitures électriques à grande échelle, que ce soit en terme de demande des consommateurs, de rareté des métaux ou encore de performances des batteries. (*) Par Didier Julienne, Président de Commodities & Resources.

Les chiffres de la voiture électrique (VE) étaient faux. En 2015, le taux de pénétration des voitures électriques était prévu à 4 % pour 2021 et 8 % pour 2030. Six ans plus tard, le chiffre de juillet 2021 est le triple des prévisions, à 13 % pour l'ensemble des trois marchés Europe-Chine-Etats-Unis, mais 20 % pour l'Europe, et la nouvelle anticipation de 2030 a été multipliée par cinq, à 40 %, celle de 2040 elle est déjà figée à 95 %.

C'est-à-dire qu'alors que 15 .000 véhicules électriques furent vendus dans le monde en 2010, ils seront probablement proches de 6 millions en 2021, 37 millions en 2030, plus du double en 2040  ; les ventes d'hybrides après avoir joué un rôle de transition important seront quasi nulles dès 2035. Certes, en 2040, les véhicules électriques à batterie (VEB) côtoieront encore des véhicules thermiques sur les routes, mais combien seront ces derniers et dans quels pays seront-ils encore utilisés ?

Des anticipations fausses et un complot anti-électrique

Retour en 2015. Certains estimaient que les véhicules électriques à batterie (VEB) ne déplaceraient pas plus de 1 % de la consommation pétrolière, mais d'autres anticipaient qu'ils menaçaient toute la demande pétrolière consommée par l'automobile  ; elle est estimée à 26 % de la demande en Europe. La tromperie, la falsification et le mensonge employés comme moyen légitime de parvenir à la réalisation d'objectifs font partie de l'histoire. C'est pourquoi des pro-pétrole inventaient et finançaient l'infox des « métaux rares » notamment par des publications, livres ou documentaires pour combattre la menace de la propulsion électrique sur la consommation pétrolière.

Puisque le mensonge possède le grand avantage de savoir d'avance ce que le public souhaite entendre, ce complot insistait sur plusieurs éléments.

Les « métaux rares » n'existent pas

D'abord l'infox des « métaux rares » prévenait que les ressources minières souterraines seraient insuffisantes et entraveraient l'expansion de la voiture électrique. Il devenait alors nécessaire d'exploiter les réserves métalliques sous-marines, notamment les nodules de l'Océan Pacifique ou bien dans certains grands fonds des sulfures, encroûtements ou autres sédiments polymétalliques. En 2021, la folie de tels projets sous-marins saute aux yeux tant l'impact néfaste d'une telle exploitation sur la biodiversité sous-marine est encore très loin d'être connu, maîtrisé, donc souhaitable. De plus, les ressources souterraines en cobalt, nickel, platinoïdes, lanthanides, bauxite, minerai de fer, voire cuivre sont durables. Les « métaux rares » n'existent pas, c'était une infox anti-électrique.

Ensuite, le bilan carbone des véhicules et la Chine étaient en cause. Chacun sait en effet qu'une flotte automobile européenne 100 % électrique éliminerait quasiment 20 % des émissions de CO2 de notre continent puisque le cycle de vie d'une voiture électrique reste toujours moins émetteur de CO2 que celui d'une voiture thermique que l'électricité soit charbonnière (50 %) ou bien hydraulique ou nucléaire (98 %). Alors qu'aucun constructeur ne parlait de neutralité carbone il y a peu, aujourd'hui tous emboîtent l'évidence et visent une telle neutralité : en 2030, Renault prévoit de vendre 90 % de VEB en Europe, Daimler prévoit de vendre 100 % de VE dans le monde, Audi 100 %, Porsche 80 %... De leurs côtés, plus de 30 pays ont figé une date de prescription des véhicules thermiques : la Norvège en 2025, l'Europe en 2035, les États-Unis en 2045... Quant à la Chine, comme l'Europe, c'est en 2035, et sans sa R&D et ses compétences dans l'écosystème des batteries et des VEB depuis 20 ans, la transition écologique aurait 20 ans de retard.

« Voiture verte, batterie rouge »

Puisque le mensonge présente ce qui est attendu, l'infox des « métaux rares » insistait également sur le slogan « voiture verte, batterie rouge » et ignorait la substitution. En effet, en 2015, la mode était aux batteries fortement chargées en cobalt  ; en 2020, le nickel était en vogue  ; en 2021, l'emprise mortifère des prix de ces deux métaux et l'insécurité thermique des batteries fortement chargées en nickel propulsent les batteries LFP (Lithium-fer-phosphate) sans cobalt ni nickel, elles équipent plus d'une batterie sur deux en Chine ; demain les batteries LMNO (Lithium-manganese-nickel-oxide) et LMO (Lithium-manganese-oxide), fortement chargées en un métal abondant, le manganèse, équiperont 55 % des VEB, ne laissant au nickel qu'une part de marché d'environ 15 %. Cette substitution largement prévisible pour un esprit industriel, renverse les théories géopolitiques métalliques inspirées des guerres du pétrole et mises en œuvre par l'infox des « métaux rares ». En outre, le même complot anti-électrique affirmait que ces batteries n'étaient pas recyclables alors que l'économie circulaire à grande échelle des batteries existe, et les industriels se battent pour les recycler. Infirmons enfin une nouvelle fois une autre contrevérité : les batteries des VEB ne contiennent aucune terre rare.

La même infox mystifiait aussi l'économie. Dans le passé, à condition de rouler plus de 10.000 km par an et avec un prix du carburant à 1,30 euro/litre, les économies liées à l'achat d'ancien VEB, comparées à une voiture thermique, permettaient un retour sur investissement en... 56 ans. À l'époque, le poids des batteries était proche de 500 kg pour une capacité allant de 50KWh à 75KWh et un coût supérieur à 10 .000 euros, lui-même fortement dépendant des variations des prix du nickel et du cobalt. Améliorer le rendement d'un VEB signifiait augmenter le roulage annuel grâce à la combinaison de la voiture autonome et de l'auto partagée. Depuis, le progrès des cathodes, mais également des anodes dopées au silicium, la forme et la disposition des batteries dans le véhicule ont déjà abaissé le prix et augmenté l'autonomie des VEB. Les innovations de demain sont notamment des batteries denses à électrolyte solide, au poids moyen de 150 kg, un prix inférieur à 5 .000 euros et à recharge rapide. La parité VEB et moteur à combustion est à portée de main, l'infox des « métaux rares » était statique, l'économie est toujours dynamique.

Sans hydrogène natif, pas la solution

En 2006, je conduisais pour la première fois une voiture à hydrogène, un Nissan X-Trail. L'avenir de cette filière était prometteur. Mais, de nos jours, son rendement énergétique de l'éolienne à la roue est si pauvre que seule l'hypothèse d'une exploitation économique d'hydrogène natif permettrait de justifier la voiture à hydrogène. Toutefois, l'emprise des platinoïdes dans les piles à combustible n'est toujours pas résolue.

En dépit des statistiques initiales et d'un complot métallique, la voiture électrique a déjà séduit les consommateurs par son intelligence et abandonne derrière elle le stupide piège des « métaux rares ». Désormais, le travail des filières et des écosystèmes industriels ne fait que commencer pour répondre à un marché qui sera multiplié par un facteur 35 d'ici à 20 ans.

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(1) Le congrès Electric Road se tiendra du 18 au 20 octobre au parc des expositions de Bordeaux. Ce congrès qui se déroule chaque année depuis six ans a pour ambition de réunir les meilleurs industriels et les meilleurs experts pour réfléchir et proposer des outils de décision sur l'ensemble des enjeux et des défis que représente la formidable mutation que nous imposent les dangers climatiques.

(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.