« Aujourd'hui, repenser la PEV en Méditerranée, c'est aussi prendre en compte les pays africains » (S. E. Bernard Valero, 2/2)

Nouveau « patron » de l'Agence des villes et territoires méditerranéens durables (Avitem) et de la Villa Méditerranée de Marseille, l'ambassadeur Bernard Valero est un diplomate chevronné, précédemment ambassadeur à Bruxelles après avoir été porte-parole du Quai d'Orsay. Pour La Tribune, il a dressé un tour d'horizon des institutions qu'il préside (voir ci-dessous le lien vers cette première partie de notre entretien). Dans ce second volet, il élargit son propos aux problématiques méditerranéennes de l'heure. Tout en affirmant une conviction forte : en Méditerranée, on n'avancera que par la coopération.
Alfred Mignot
L'ambassadeur Bernard Valero, nouveau « patron » de l'Agence des villes et territoires méditerranéens durables (Avitem) et de la Villa Méditerranée de Marseille.

LA TRIBUNE - Durant la campagne électorale pour les élections régionales, la pérennité de la Villa Méditerranée a été fortement mise en question... Et maintenant ?

BERNARD VALERO - Effectivement, il y a eu un débat très vif sur la Villa Méditerranée... Une étude prospective commanditée par la Région est actuellement en cours, nous en connaîtrons le résultat autour de la fin mai.

Cela dit, la question qui a agité la campagne lors des dernières élections régionales était importante, elle était légitime - moi-même je suis issu d'une administration d'État, le ministère des Affaires étrangères, où, depuis vingt ans, on réduit les budgets, on rogne sur les moyens de fonctionnement... donc j'ai une certaine habitude d'un fonctionnement budgétaire économe, et je trouve parfaitement légitime la question du "combien ça coûte ?", et également tout à fait pertinent que l'on s'interroge sur l'allocation optimale de l'argent public.

Mais, je pense aussi qu'il faut se poser parfois la question du « combien ça rapporte ? » Et cette question-là a été pour l'instant un tout petit peu ignorée. Sur ce sujet, j'ai quelques pistes de réponse...

La première : cette réalisation architecturale tout à fait remarquable, unique, est très importante en termes d'image, elle me semble être un emblème de cette ambition méditerranéenne de la région PACA et de la ville de Marseille. Deuxièmement, la Villa Méditerranée est un outil au service de la ville et de la région pour leur développement économique et leur rayonnement sur l'ensemble du bassin méditerranéen : cela me paraît également être une mission noble et utile.

Enfin, de manière peut-être très pragmatique mais tout aussi importante : le tourisme est un moteur essentiel du développement économique et de l'emploi dans la ville et dans la région, et là nous avons un outil - parmi d'autres évidemment - particulièrement attractif, et qui participe de notre rayonnement touristique.

En fait, à Marseille nous avons le Vieux-Port, Notre-Dame de la Garde, la plage des Catalans, le Pharo, la Canebière... mais aussi les terrasses du Port, le fort Saint-Jean, la cathédrale de la Major, le musée Regards de Provence... et désormais, l'ensemble du J4 avec le Mucem, la Villa Méditerranée !

Eh bien, j'en recueilli plusieurs fois des témoignages : lorsqu'ils arrivent là, les touristes - Italiens, Espagnols, et de plus en plus Chinois - réalisent qu'ils sont devant un espace urbain tout à fait exceptionnel.

Dès votre entrée en fonction, vous avez rapidement pris contact avec les instituions méditerranéennes, comme l'Union pour la Méditerranée, la Fondation Anna Lindh. Où en êtes-vous de projets de coopération ?

Aujourd'hui, lorsqu'on regarde l'ensemble géopolitique et économique méditerranéen, on s'aperçoit que nous sommes tous dans les mêmes questionnements : la sécurité de nos pays, la tragédie des migrations massives, nos sérieuses interrogations sur la capacité de survie même de la Méditerranée en tant qu'écosystème quasi fermé sur lui-même et tellement menacé...

À partir de ce constat, notre conviction est celle d'une responsabilité partagée par de très nombreux intervenants, parmi lesquels l'Union européenne, qui a un rôle déterminant dans la recherche et la mobilisation des réponses.

Précisément, au cours des dernières années l'UE a développé deux outils particulièrement significatifs de son engagement fort sur la Méditerranée : l'Union pour la Méditerranée [UpM] dont le secrétariat général, à Barcelone, agit pour faciliter les coopérations entre les deux rives ; la Fondation Anna Lindh [FAL] qui travaille davantage sur le dialogue entre les cultures et les sociétés civiles, s'efforçant notamment de contrer les discours de radicalisation. Il va de soi que nous sommes étroitement en liaison avec ces deux institutions.

Quelles sont les premières coopérations que vous envisagez de développer avec l'UpM et la FAL ?

À Barcelone, j'ai été reçu par le secrétaire général de l'UpM, l'ambassadeur marocain Fathallah Sijilmassi, avec lequel nous avons abordé un certain nombre de de thèmes très concrets, comme l'aménagement urbain et des territoires, au cœur de l'expertise de l'Avitem. Car l'UpM coordonne un certain nombre de programmes euroméditerranéens sur ces questions. Nous avons aussi des ambitions de coopération avec la Fondation Anna Lindh que préside Élisabeth Guigou.

Monsieur l'Ambassadeur, vous êtes devenu le patron de l'Avitem, mais êtes toujours tenu au devoir de réserve ?

Bien sûr, plus que jamais !

Pouvez-vous néanmoins nous dire votre sentiment sur la situation géopolitique actuelle en Méditerranée, qui va du chaos syrien à la fragilisation de la Tunisie, face à la montée des risques d'une percée de Daech dans la Libye voisine... ?

La situation qui aujourd'hui prévaut en Méditerranée est très préoccupante pour les questions de sécurité, de contre-terrorisme et de migrations massives. Il y a des situations tout à fait nouvelles et auxquelles il faut apporter des réponses, il ne faut pas se voiler la face.

À Marseille nous sommes d'autant plus lucides que nous nous trouvons au plus près de ces nouvelles lignes de fracture qui menacent la Méditerranée.

Vous connaissez l'engagement de la France dans la lutte contre le terrorisme : il est total et particulièrement déterminé, et tant que la menace persistera, je pense naturellement qu'il faudra que la mobilisation de notre pays se poursuive. Telle est bien l'intention de nos plus hautes autorités.

D'un autre côté, il faut aussi anticiper l'avenir : j'ai écouté avec beaucoup d'attention les mises en garde de notre ministre de la Défense sur la situation qui prévaut en Libye. Si l'Irak et la Syrie peuvent paraître loin, ce n'est pas le cas de la Libye. Or, on constate qu'en Libye, Daech contrôle pour la première fois une façade maritime. C'est particulièrement inquiétant.

Il faut travailler dans plusieurs directions : maintenir bien sûr la fermeté de l'engagement de la France dans la lutte antiterroriste ; confirmer notre engagement sur la gestion du problème migratoire pour lequel nous devons - à la fois titre national mais aussi à titre européen, ce qui pose un certain nombre de difficultés - être capables d'apporter des réponses.  C'est la raison pour laquelle nous sommes particulièrement actifs avec nos partenaires à Bruxelles, et avec l'Allemagne en particulier, comme l'a montré récemment la rencontre à Strasbourg du président de la République et de la Chancelière.

Nous sommes à un moment de notre histoire commune autour de la Méditerranée, où nous devons être à la fois très fermes sur la défense de nos valeurs, et également très engagés contre ceux qui se posent en ennemis de la démocratie et qui, s'agissant des pays du Sud, n'ont d'autres ambitions que d'éteindre la lumière des printemps arabes.

Nous devons être très engagés auprès de nos partenaires du Sud. Pour aller au-delà, il est évident que l'Union européenne doit être plus que jamais aujourd'hui fortement engagée sur la Méditerranée, et dans tous les domaines : la sécurité, les migrations, l'environnement, le développement économique, la stabilité régionale...

Les présidents de la Commission, du Conseil et du Parlement européens partagent ces vues, et nous travaillons évidemment très étroitement avec eux pour qu'une vraie dynamique d'engagement et de coopération soit mise en œuvre par l'union européenne.

Pour finir de vous répondre : la Tunisie est un pays avec lequel notre solidarité doit être totale, et c'est le cas aujourd'hui.

Quel est votre sentiment à propos de la réforme de la PEV, la politique européenne de voisinage ?  On peut applaudir le processus de concertation mis en place, mais les moyens ne restent-ils pas tragiquement faibles - quelque 92 milliards d'euros sur cinq ans (2016-2020) pour l'ensemble des pays partenaires méditerranéens...

Très important ce que vous évoquez sur la consultation, dans le cadre de la révision de la PEV, engagée par l'Union européenne auprès des différents acteurs ou interlocuteurs nationaux, afin de recueillir, les remontés de terrain. C'est une démarche qu'il convient de mettre à l'actif de l'UE.

Cela dit, les problèmes sont effectivement si aigus dans plusieurs domaines qu'il est important d'affirmer que l'Union européenne doit s'engager massivement.

D'autre part, on parle toujours de la rive sud de la Méditerranée, c'est très bien mais je crois qu'il faut dépasser cet horizon et porter un regard au-delà. Je pense ici aux questions migratoires. Les pays de la rive sud de la Méditerranée étaient traditionnellement émetteurs de migrants et nous avons souvent encore tendance à les considérer comme tels. Or, c'est une approche complètement dépassée car ces pays - du Maghreb comme du Machrek -  sont maintenant des terres d'accueil de migrants venant de beaucoup plus au sud, d'au-delà du Sahel.

Pour les dix à trente prochaines années, nous sommes ainsi projetés dans des configurations jusqu'ici totalement inconnues. C'est pourquoi nous devons avoir une approche plus globale, car souvent la Méditerranée est le réceptacle, le point d'aboutissement d'un certain nombre de transformations profondes qui sont à l'œuvre sur une bonne partie du continent africain.

Que ce soit en matière de coopération avec les nouveaux pays récepteurs de migration, ou avec les pays de l'Afrique subsaharienne, une prise de conscience est certes en train de s'opérer, mais elle est peut-être un peu lente par rapport à la vitesse à laquelle défile l'histoire.

D'où un retour à mon point de départ, la nécessité d'une coopération et d'un dialogue très étroit et permanent avec nos partenaires du sud de la Méditerranée, voire au-delà.

On n'est pas loin de l'approche en quartiers d'orange nord-sud préconisée par l'Ipemed... vous diriez qu'il convient d'élargir l'horizon de la PEV jusqu'à l'Afrique subsaharienne ?

Oui, je trouve cette approche pertinente. Aujourd'hui, en termes de vision et de logique opérationnelle, repenser la PEV c'est prendre en compte la situation des pays africains, au-delà de la seule rive sud de la Méditerranée.

Quelle serait votre recommandation première ?

Ce serait d'avoir une approche globale : sur l'identification des problèmes, sur la recherche des solutions, sur l'implication des États membres - la Méditerranée n'est pas l'affaire de la seule Europe du Sud, elle relève de la responsabilité collective de tous les États membres de l'UE.

Je préconise encore une approche globale sur certaines priorités, comme la facilitation de la mobilité, l'Erasmus à mettre en place, les garanties d'emprunt à développer. Idem pour la défense partagée d'un certain nombre de valeurs, comme l'État de droit, les libertés, la démocratie. L'aspect économique est essentiel évidemment, mais aussi la dimension éducation-formation, absolument indispensable, car c'est la première demande des pays africains, parce que c'est sur ce terrain-là que se joue une partie importante de leur avenir, et du notre.

Je pense qu'il faut mettre tout cela sur la table. Donc, avec une globalisation des approches, tant sur les questions d'identification des problèmes que sur la façon de travailler, car c'est un tout. L'enjeu n'est pas de faire de la Méditerranée une ligne de frontière, mais plutôt un espace d'échange, de rencontre et de travail en commun.

Pour finir, un mot sur vous, Monsieur l'Ambassadeur... En tant que diplomate, ne vous sentez-vous pas un peu perdu à Marseille, loin des ors du Quai d'Orsay ou des ambassades ?

Depuis maintenant quatre mois que j'assure cette mission, j'en mesure chaque jour le sens : j'ai pris rang parmi tous ceux qui, à Marseille et dans la région, sont mobilisés pour faire gagner leur ville et leur territoire, je suis au coude à coude avec tous les acteurs qui, sur les deux rives œuvrent à construire une Méditerranée de paix, de coopération et de développement, et enfin je me sens en parfaite résonance avec la politique méditerranéenne de notre pays.

Les enjeux qui s'offrent à nous en Méditerranée, ou qui nous y attendent dans l'avenir, sont pour nous tous, autant d'exigences fortes de cohésion, de cohérence, de mobilisation et d'action. Avec mon équipe, nous contribuons, parmi et avec beaucoup d'autres, à apporter des réponses à ces défis, à ces attentes, à ces espoirs. Dans ces conditions, c'est un honneur et une fierté pour moi que de servir à Marseille.

Et puis, même si c'est vrai que les Marseillais ne le réalisent pas toujours, on vit ici dans une ville magnifique, extraordinaire. Sans vouloir faire le « cacou », comme on dit à Marseille, permettez-moi de citer le fameux journaliste Albert Londres, qui disait de Marseille au début du XXe siècle : « Le peuple qui, désormais, vivra cloîtré entre ses frontières, périra d'anémie. La France choisira-t-elle l'heure où chaque nation qui compte joue à l'étrave sur les océans pour ramener ses voiles et replier ses tentes ?

Allez à Marseille. Marseille vous répondra.

Cette ville est une leçon. L'indifférence coupable des contemporains ne la désarme pas. Attentive, elle écoute la voix du vaste monde et, forte de son expérience, elle engage, en notre nom, la conversation avec la terre entière. »

Propos recueillis par Alfred Mignot

> Lire le volet 1/2 de l'entretien : "À la Villa Méditerranée de Marseille, nous construisons la Méditerranée de demain" (Entretien avec S.E. Bernard Valero, 1/2)

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