Algérie : deux jours à Tlemcen

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  1383  mots
Une légère brise de paix flotte sur cette ville algérienne proche du Maroc. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Ne le dites pas trop fort en Algérie mais Tlemcen fait beaucoup penser au Maroc. Oujda est à 70 kilomètres et la frontière officiellement fermée est perméable. Des familles, plutôt que prendre l'avion à Oran, la franchissent illégalement pour se retrouver entre cousins. La contrebande se porte bien, moyennant quelques bakchichs aux douaniers : produits algériens largement subventionnés, comme l'essence ou le sucre contre le kif du Rif. La cuisine, d'excellente qualité, est pour une bonne part marocaine. Les dynasties berbères, Almoravides ou Mérinides, ont laissé des mosquées avec leurs minarets et des medersas et près de 50 000 Andalous industrieux s'y sont installés lors de la Reconquista . Le touriste parisien pense inévitablement à l'exposition au Louvre en 2013 sur le Maroc médiéval.

 Il flotte sur Tlemcen une légère brise de paix, plus marocaine qu'algéroise. Les contrôles policiers sont moins visibles qu'à Alger, même si l'institut français est gardé en permanence.
La ville attire des touristes algériens, venant en particulier d'Oran (140 km). Ils sont attirés d'abord par le plateau de Lalla Setti (nom d'une héroïne locale célébrée par une petite koubba blanche). On y accède en voiture ou en téléphérique (1100 m.) La vue sur la ville est magnifique. Des aménagements ont été réalisés (2011) pour les jeux et la détente, un lac artificiel a été creusé, des restaurants ont été construits sur le bord de la falaise. L'édifice le plus spectaculaire est le grand Hôtel Renaissance, établissement de luxe (plus de 200 chambres) avec ses jardins, sa piscine et ses salons. En contrebas, des familles algériennes viennent pique niquer dans les bois de pins.
L'autre attraction populaire, les grottes de Beni Add ou d'Ain-Fezza, est située à une vingtaine de kilomètres à l'est dans une montagne rocailleuse et aride. Dans trois salles souterraines de stalactites et de stalagmites, des formes étranges faisant penser à des animaux ou à des monstres dépaysent et stimulent l'imagination. Comme dans beaucoup de lieux touristiques, les souvenirs proposés aux visiteurs sont indigents.

Messali Hadj, le "traître" réhabilité par Bouteflika

Le touriste français, qui arrive par avion découvre un aéroport quasi neuf. Surprise : l'aéroport porte le nom de Messali Hadj, originaire de la ville ; le «traître » a été réhabilité après sa mort par le président Bouteflika. Du neuf, il en abonde à Tlemcen, notamment depuis l'année 2011, où la ville fut déclarée « capitale de la culture islamique : maisons, édifices publics (palais de justice, siège de l'assemblée populaire communale), musées et rénovations dans le vieux Tlemcen. Les bâtiments universitaires ont fière allure et les résidences étudiantes aux couleurs vives sont pimpantes.
Début mai, les blés sont prêts d'être moissonnés, les cerises sur la colline mûres, les genets fleuris et la campagne encore verte pour la partie irriguée. Les sources sont nombreuses mais les pluies auraient été insuffisantes.

Tlemcen a été quasiment à l'abandon pendant des siècles

Le touriste européen consciencieux peut commencer sa visite par le site et le minaret de la Mansourah, situés à l'extérieur des remparts dans la direction d'Oujda. Le minaret ocre aux colonnes d'onyx et aux carreaux de faïence fait penser à d'autres tours de l'art hispano maghrébin, la tour Hassan de Rabat, la Giralda de Séville et la Koulouba de Marrakech, que le gardien était allé admirer franchissant illégalement la frontière. La Koulouba est dans un bien meilleur état. Il est vrai que Tlemcen a été quasiment à l'abandon pendant des siècles et que la restauration du temps de la colonisation n'a pu être que partielle.
Fernand Pouillon, qui a construit une dizaine d'hôtels superbes dans l'Algérie indépendante, avait sûrement regardé et admiré la Mansourah avant de construire l'hôtel les Zianides en centre ville: porche aux colonnes d'onyx blanc, carreaux de faïence mouchetés de noir, jaune, vert, orange, plâtres sculptés, ouvertures étroites, patio à colonnes et à la toiture verte .
J'y avais passé une nuit en famille durant l'été 1979, alors qu'il était dans toute sa superbe. Depuis, il s'est sensiblement dégradé, le jardin n'est plus entretenu et de jolis objets ont disparu (comme les cendriers...aveu pénible, un de mes fils en avait subtilisé un). Contrairement à d'autres hôtels Pouillon, l'hôtel les Zianides est encore très habitable, l'accueil agréable et les chambres confortables. Mais il a cessé d'être le grand hôtel de Tlemcen et il mérite d'être rénové.

 La vieille ville en partie détruite par les Français

Les destructions commises par les Français pour les besoins de l'armée et du développement de la ville européenne ont été nombreuses, notamment le Mechouar (la citadelle) dont il ne restait que des murailles, des medersas, des mosquées et la plupart des Portes.
De la ville européenne, il reste de beaux immeubles art nouveau et art déco, qui ont besoin d'être rénovés et des terrasses de cafés à l'ombre de beaux platanes, où des Algériens sirotent leur kawa à la place d'Européens sirotant leur anisette.

Le lieu le plus attachant de la vieille ville est la mosquée de Sidi Boumediène (14è siècle), juchée au haut d'une sorte de kasbah, dont le minaret carré se voit de loin. On y accède par une rue étroite et pentue bordée de maisons crépies à la chaux, Le porche d'entrée est décoré de mosaïques de faïence. Les murs intérieurs sont revêtus de plâtres finement sculptés et les arcs sont en fer à cheval. Les vantaux de la porte en bois de cèdre sont revêtus de plaques de bronze ajouré, un chef d'œuvre exécuté par un artiste andalou. Les chapiteaux de la salle de prière sont d'une grande finesse, le mihrab et le minbar en bois de cèdre sculpté aux reflets rougeâtres. Une collection de corans anciens y est conservée, un garçon de douze ans en avait emprunté un et le lisait assis à côté du minbar. La mosquée a subi des mutilations lors de la décennie sanglante.
En dessous de la mosquée, les ruines de la même époque de la maison du sultan (Dar Es Soltane) disposées autour de trois patios et conservant des traces d'ornementation offrent une vue admirable ; ce vendredi matin, l'air était léger et le paysage lumineux.
La médersa, contigüe à la mosquée et de la même époque, qui fut fréquentée par le plus célèbre historien du Maghreb, Ibn Khaldoun, n'était pas ouverte.

Commentaires en français et en arabe

De même, au centre de la ville, la grande mosquée n'était pas accessible en raison de la prière du vendredi et la mosquée de Sidi Bel Hassan, dont les quatre faces du minaret sont ornées de colonnettes d'onyx et de mosaïques était fermée.
En face, le musée a été installé (2009) dans l'ancienne mairie et entièrement restauré. Sur deux niveaux, est présentée de façon claire l'évolution de la civilisation islamique à Tlemcen : maquettes, plans, chapiteaux, colonnes, manuscrits, monnaies, armes. Les commentaires sont en arabe et en français, sous l'influence probable de Bouteflika.
Dans le Palais Mechouar, reconstruit pour la plus grande partie, un musée de vêtements de fête, du Nord et du Hoggar. C'est une réussite, qui s'inscrit dans une tradition de Tlemcen l'artisanat du vêtement. Des habits, fonctionnels et élégants, sont présentés sur des mannequins. Au milieu, un grand patio a été construit.

En moins de deux jours, la visite a été incomplète et superficielle. Néanmoins, j'en suis reparti heureux et satisfait des choses vues et de l'accueil reçu. Il me semble que même dans le contexte incertain actuel les Français peuvent s'y rendre, mais ce n'est pas du tourisme bon marché.

Pierre-Yves Cossé Mai 2015