Macron : quels liens avec le rocardisme ?

Emmanuel Macron, un héritier de Michel Rocard? Leurs approches politiques convergent. Mais avec deux différences importantes: le rapport à l'argent et aux partis politiques. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Ce jeudi 15 septembre, la grande salle Victor Hugo, à l'Assemblée Nationale, débordait de Rocardiens, de tout âge et de toute sensibilité. En début de séance, ils écoutèrent sagement Emmanuel Macron et en fin de séance Manuel Valls, si bien qu'ils se rencontrèrent pas. Certains observateurs crurent déceler une confrontation organisée entre deux prétendants à la succession, même si leurs propos furent mesurés, et s'ils répétèrent que le Rocardisme était multiforme et ne saurait avoir un héritier unique.

Il n'en était rien. La réunion prévue il y a plusieurs mois devait se tenir en présence de Michel Rocard, avec pour objet le lancement officiel du site MichelRocard.org  et la participation de tous ceux qui avaient contribué à l'entreprise, dont le Premier Ministre et son ministre de l'Economie. Il est vrai que la démission de ce dernier rendait plus délicate leur participation conjointe.

Les deux rivaux furent équitablement applaudis, ce qui correspondait au partage des sensibilités. Les proches du PS et les rocardiens historiques ne sont pas prêts à soutenir une démarche, impliquant l'élimination ou l'éclatement des partis de gauche. Les autres, qui n'attendent plus rien du PS, sont des macroniens plus ou moins ardents.

 Convergences politiques

Implicitement, la question du positionnement d'Emmanuel Macron par rapport au Rocardisme était posée. La réponse est délicate, parce que Michel Rocard n'est plus là, qu'Emmanuel Macron est encore pour une part un OVNI, dont le programme « progressiste » n'a pas encore été révélé, et que le contexte a changé par rapport à l'époque où Michel Rocard menait ses combats.

Les deux hommes, qui se connaissaient depuis longtemps, sont apparemment proches. Même formation, même début professionnel à l'inspection générale des finances, même croyance en un destin national, même capacité d'écoute, même curiosité intellectuelle, même laïcité ouverte.

Leurs orientations politiques convergent : la volonté de transformer la société dans le cadre d'une économie de marché, le respect des exigences de compétitivité en économie ouverte et des équilibres financiers, la croyance aux bienfaits de l'initiative et de la décentralisation dans le domaine économique et social, le refus des rentes indues. Convergences mais non identité ; Michel Rocard attache une grande importance théorique et pratique à des dispositifs se situant à la marge du capitalisme, l'économie sociale et toutes les formes d'expérimentation sociale ; Emmanuel Macron a une connaissance et une pratique approfondie des mécanismes de financement et fait confiance aux banques.

La méthode politique a beaucoup de points communs : le respect de l'interlocuteur, le souci du dialogue et de la négociation, l'attachement au contrat, l'importance donnée au long terme et le contournement des appareils par un appel direct à l'opinion. Il en résulte des propos transgressifs, des petites phrases plus ou moins délibérées qui choquent, et des polémiques acerbes. Les sarcasmes à l'égard des transgresseurs pleuvent : Michel Rocard, c'était la « gauche américaine » pour Jean Poperen.

Restent deux différences majeures ; l'argent et les partis politiques.

 Un rapport à l'argent différent

La différence par rapport à l'argent ne tient pas seulement aux parcours personnels. Emmanuel Macron a été un banquier d'affaires, immergé dans la finance internationale où il s'est fait beaucoup d'amis, parfaitement à l'aise au milieu de milliardaires détenant une richesse et un pouvoir exceptionnel. Michel Rocard a certes eu des relations avec des hommes d'affaires, étroites, voire amicales, Il cherchait à comprendre le fonctionnement de l'économie capitaliste et savait que les dirigeants d'entreprises jouent un rôle décisif. Cela dit, il n'appartenait pas à ce milieu et avait fait toute sa carrière dans le secteur public. Ce monde de l'argent était plus lointain.

Le long passage de Michel Rocard dans les mouvements de jeunesse protestants explique peut-être sa dénonciation permanente de l'enrichissement excessif. Dans « Suicide de l'occident, suicide de l'humanité ? » son dernier et important ouvrage, un chapitre est intitulé : « Le monde malade de l'argent » Il condamne l'appât du gain qui sépare la finance de l'économie, l'accroissement des inégalités, l'enrichissement excessif. Parmi les « menaces sur l'entreprise » il cite la part excessive prise par les dividendes dans les résultats, les rémunérations des dirigeants indexées sur les cours de bourse et l'usage fait des stock options. Le chapitre où il traite des banques est d'une extrême virulence ; il évoque à propos de la banque « le déshonneur d'une profession, la spéculation avec l'argent des épargnants » et réclame le retour à une séparation entre banques de dépôts et banques d'affaires. Tout ceci est fort peu macronien et peu compatible avec l'appel aux jeunes français pour devenir des milliardaires.

Détail à mon sens significatif, le choix de l'évangile à la cérémonie au temple en hommage à l'ancien Premier Ministre : la parabole du Riche qui aura autant de difficultés à entrer au ciel qu'un chameau à passer par le trou d'une aiguille. Cela ne veut pas dire que Michel Rocard vouait aux à la géhenne son brillant cadet.

 Une approche divergente des partis politiques

L'autre différence tient aux partis politiques. Michel Rocard a été en lutte durant la plus grande partie de sa vie politique contre les dirigeants de son parti, qui l'ont fort mal traité, insulté parfois, marginalisé le plus souvent. Il était lucide sur les limites des partis et notamment les contraintes tactiques et électorales qui étouffaient les débats de fond. Néanmoins, il les respectait et croyait à leur nécessité.

Pour des raisons historiques. Le parti socialiste se situe dans une longue histoire de luttes à l'échelle internationale dont il se sentait solidaire. Il revendiquait l'héritage de la sociale- démocratie, même si cette appellation était peu adaptée à la réalité française. Il respectait ses militants, leur générosité, leur dévouement. Que de week-ends, que de soirées, n'a-t-il pas consacrés, à travers toute la France, à échanger avec eux, à donner des réponses interminables à des questions parfois confuses !

Pour des raisons fonctionnelles. Notre régime reste parlementaire. Et un parlement ne peut fonctionner correctement sans des partis fortement structurés à vocation majoritaire.

Emmanuel Macron se comporte comme si l'on pouvait se passer des partis politiques. L'explication est pour une part circonstancielle. Les partis politiques, et au premier chef le PS, sont rejetés par l'opinion. Un homme neuf ne doit pas apparaitre comme un homme de parti. Rallier le PS et jouer le jeu des primaires, c'était se banaliser et courir un risque, la place étant prise, même en cas de non candidature du président sortant, en particulier par un Manuel Valls, usé par son président mais toujours dynamique et agressif. Mieux vaut surfer sur la vague antiparti.

L'explication tient aussi à une analyse des mutations en cours. L'intermédiation par les partis ne serait plus indispensable dans une société numérisée. Les relations avec les supporters se font sur le web, de même que la concertation. Plus besoin de tracts et de réunions confidentielles dans des lieux obscurs mais des courriels, des SMS, des chats et des sondages sur le web. Foin des motions mi chèvre-mi chou votées à trois heures du matin par des commissions de synthèse. Vive la politique transparente en temps réel. Vive la démocratie instantanée, participative et réactive.

Le temps serait venu des mouvements, plus souples et réactifs que les partis politiques, tournés en permanence vers l'extérieur. Un mouvement, qui ferait des emprunts aux uns et aux autres, et qui donnerait librement son label aux candidats lors des élections, un peu comme l'Express accordait le bonnet phrygien aux « vrais « mendésistes en 1956.

N'est-ce pas comparable avec le mouvement Europe- Ecologie lancé par Cohn-Bendit, qui n'aimait pas le PS, en 2010, aux candidatures ouvertes, qui obtint de premiers succès avant de se rabougrir en caricature de parti ?

Michel Rocard ne s'était pas rallié à cette approche. Il s'en tenait à une organisation appartenant à l'internationale socialiste et à un parti de militants, capables de dialoguer et de convaincre l'électeur à la base, même s'il était conscient des nouvelles formes de communication. Il pensait qu'un parti structuré rend plus difficile les aventures personnels et résiste mieux aux lobbys économiques et bancaires.

 Pierre-Yves Cossé

Octobre 2016

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Commentaires 3
à écrit le 11/10/2016 à 16:14
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Décidemment ce cher PYC devient le VRP du petit poulain des élites...Magnifique la bonne vieille gauche caviar à la française, une vraie marque déposée Made in France...Des gauchistes comme ça ça ferait plaisir à Jaurès...Mais il n'y a rien de concre...

à écrit le 04/10/2016 à 13:30
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Le défaut de Macron est de ne pas tenir compte du role de l'énergie dans le développement de l'économie. Mais comme personne le lui dira, autant le laisser dans dant l'ombre.

à écrit le 04/10/2016 à 8:42
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C'est la même différence qu'entre une constellation et une étoile filante, un coup médiatique!

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