Pourquoi Hollande et Sarkozy devraient renoncer à se présenter

Par Pierre-Yves Cossé  |   |  997  mots
Les Français rejettent François Hollande et Nicolas Sarkozy, et ce rejet a tout l'air d'être durable. Beaucoup ne veulent pas d'un nouveau face à face entre les deux présidents. Une élection présidentielle parfaitement légale mais jugée illégitime par une part importante des électeurs ferait courir un vrai risque à la démocratie. par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Disserter sur le mal français est lassant, tellement la littérature abonde et se répète. Le jeu consiste à rechercher le responsable du mal. Les Français dénoncent les responsables, l'establishment, leurs voisins proches ou lointains, bref le monde entier. Ils omettent de se dénoncer eux-mêmes.

Pourtant beaucoup d'entre eux sont atteints de cécité. Ils ne voient pas, ou refusent de voir que le monde a basculé, que la croissance n'a pas disparu, mais se concentre dans de grands pays en développement situés principalement en Asie, que le rattrapage spectaculaire de pays comme la Chine est non seulement inévitable mais profitable pour l'équilibre du monde. Le pouvoir et la richesse se sont déplacés. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait plus de place pour de « vieux » pays comme la France. Cela signifie que nos comportements et nos pratiques sont inadaptés et que nous devons en inventer de nouveaux.

Une certaine surdité

Un premier effort consiste à comprendre ce nouveau monde et, pourquoi pas, à l'aimer. Comprendre, ce n'est pas perdre tout esprit critique. Certains aspects de la mondialisation doivent être dénoncés, comme les excès de la financiarisation. On peut opposer à la mondialisation la « mondialité » chère à Edouard Glissant. En revanche, s'en prendre aux nouvelles puissances du XXI è siècle, comme la Chine ou l'Inde est dérisoire.
Peut-être, faudrait-il mieux parler de surdité car certains de nos dirigeants ont évoqué très tôt cet effet de bascule. Le 23 mars 1983, François Mitterrand ne disait-il pas à la télévision : « Nous assistons aujourd'hui aux soubresauts d'un monde qui meurt, en même temps qu'un autre naît ».  Les Français ont pris cela pour des « paroles verbales » comme on dit à Marseille. Car ces paroles ont été sans suite. Ni François Mitterrand ni ses successeurs n'ont facilité cette nouvelle naissance. Ils ont cherché à dissimuler le phénomène, à gagner du temps ou à annoncer le retour à l'état antérieur. Les Français ont donc quelques excuses. Lorsqu'un mouvement clair ne vient pas du haut, la tentation en bas est le conservatisme et l'attentisme. Pas surprenant, non plus, qu'ils aient perdu confiance dans leurs dirigeants qui ne leur ont pas proposé un nouveau cap et les moyens de s'y tenir.

Un rejet durable des deux derniers présidents

Dans ce contexte, la composante politique et institutionnelle du mal français devient dominante : incapacité à réformer, délitement des institutions, abstention croissante, affaiblissement du sentiment démocratique. Avec la prochaine élection présidentielle, la crise risque de s'aggraver fortement. Un grand nombre de Français ne veut pas avoir à choisir au second tour entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. Si c'était le cas, ils s'abstiendraient et se désintéresseraient de la vie démocratique. Nous serions dans un scénario à la Houellebecq (Soumission).

La question n'est pas de savoir si ce rejet est fondé mais s'il est durable. Selon toute vraisemblance, il l'est. C'est la personne même de l'ancien président de la république qui est en cause : ses foucades, sa morale, son positionnement comme président à l'égard de ses concitoyens. Les Français peuvent ne pas être en accord avec leur président mais ils veulent avoir de l'estime pour lui. On ne voit pas par quel miracle la perception des Français pourrait changer d'ici 2017.

Pour l'actuel président, la déception ressentie après la première année du quinquennat a été telle que la rupture avec une bonne partie de ces électeurs de 2012 est quasi définitive. Il est possible et souhaitable que des résultats positifs soient enregistrés d'ici la fin du septennat. S'ils relèvent du domaine international et européen, ils n'ont pas d'effets durables sur l'opinion. S'ils sont d'ordre économique, ils ne peuvent être que limités, environnement international peu porteur, existence d'excédents de main d'œuvre dans les entreprises, stagnation du pouvoir d'achat, scepticisme des acteurs économiques. Quelques « bons » chiffres ne suffiront pas à changer la perception par l'opinion de la situation économique et sociale.

Faisons un rêve...

Pourtant, tous les deux ont de bonnes chances d'être candidats. Nicolas Sarkozy est le patron de son parti ce qui lui donne des marges de manœuvre dans la communication et l'organisation des primaires, il a le soutien enthousiaste d'une majorité de militants et surtout il a une envie irrépressible de prendre sa revanche. François Hollande pourrait tirer les dividendes d'une amélioration possible des statistiques de chômage durant plusieurs mois en 2016, d'une candidature Sarkozy, repoussoir pour l'électorat centriste et de l'absence de candidat crédible de remplacement à gauche.

Faisons un rêve. Les deux candidats prennent conscience du risque que ferait courir à la démocratie une élection présidentielle parfaitement légale mais jugée illégitime par une part importante des électeurs, abstentionnistes ou non. Ils jugent que leur second quinquennat serait branlant. Ils laisseraient à des primaires le soin de dégager les deux principaux candidats, à côté de Marine Le Pen. Le résultat est assuré pour la droite, Alain Juppé, plus incertain à gauche où s'affronteraient des prétendants social- réformistes (M Valls, E Macron) et des sociaux- démocrates (Martine Aubry ?).

Une pression populaire nécessaire

Comme il est rare que des hommes politiques, tant qu'ils ont la santé, renoncent à leurs ambitions, surtout s'agissant de la présidence de la République, une forte pression populaire est nécessaire.
Etant inexpérimenté dans ce domaine et absent sur les réseaux sociaux, je ne saurais prendre l'initiative de lancer une grande pétition populaire qui devrait être signée par des millions de citoyens venant de tous les horizons politiques.
Persévérant dans la naïveté, je m'adresse à tous ceux qui sont convaincus par mon diagnostic et qui ont la motivation et le savoir- faire pour se lancer dans l'aventure de cette pétition.


Pierre-Yves Cossé
Octobre 2015