Quand le risqué et l'immoral font bon ménage avec la finance

Les banques doivent elles prêter en devises à des particuliers? Faire croire à des emprunteurs des pays de l'Est qu'ils peuvent emprunter moins cher en devises, c'est immoral, et finalement risqué, comme le montrent les déboires actuels d'une filiale russe de la Société Générale. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Chaque jour, des entreprises empruntent en devises auprès des banques. Elles savent qu'elles prennent un risque, celui d'avoir à rembourser plus cher que prévu au cas où le de la monnaie utilisée s'est élevé sur les marchés. Ce risque est accepté parce que l'entreprise -par exemple exportatrice- a des recettes dans la monnaie d'emprunt ou parce que simultanément elle fait auprès de sa banque une opération de couverture.

L'opération est néanmoins délicate et la couverture du risque parfois imparfaite. Le marché des « couvertures » est limité, voire impossible pour des opérations de long terme ou dans certaines devises. Les prévisions d'exportations ont pu être trop optimistes. On a vu de grandes entreprises, comme Air-France, annoncer des pertes de change significatives suite à des insuffisances ou des erreurs de couverture. Cela dit, les trésoriers d'entreprises et les départements spécialisés des banques connaissent leur métier. Emprunter en devises est une opération qui ne pose pas de problème de principes.

 Des emprunts en devises pour des particuliers

Il en va tout autrement pour l'emprunt en devises des particuliers, réalisés le plus souvent pour financer l'acquisition d'un logement. Le particulier est le plus souvent démarché par une banque et n'a pas conscience du risque de change qu'il prend, imprévisible par nature. Ce type d'opérations s'est beaucoup développé dans les pays d'Europe Centrale après la chute du communisme. Du fait d'un mauvais fonctionnement des marchés financiers, les taux d'intérêt étaient élevés, les emprunts à long terme difficiles et les besoins en logement considérables. Les banques, souvent occidentales et cartellisées, ont fait souscrire des emprunts dans des monnaies à faible taux d'intérêt, comme le franc suisse ou l'euro, en prenant des commissions substantielles. Or la plupart de ces nouvelles monnaies « flottaient » sur le marché des changes et avec la crise leur cours a brutalement baissé.

 Beaucoup de Hongrois pris au piège

En Hongrie, les emprunts en devises étaient considérables. Beaucoup de Hongrois ont été pris au piège, dans l'incapacité de faire face à leurs échéances, qui avaient souvent plus que doublé ou triplé. Le Premier Ministre, M Orban, soumis à une pression populaire est intervenu d'autant plus facilement qu'avec les privatisations le secteur bancaire était passé dans des mains étrangères, autrichiennes principalement mais aussi françaises. Les remboursements ont été plafonnés de façon discrétionnaire et les banques n'ont eu que leurs yeux pour pleurer.

La banque n'est pas en risque de change, c'est le client

On pouvait penser que nos banques avaient compris la leçon. Faute de considérations morales, elles auraient appris à mieux mesurer le risque. Elles ont expliqué, à cor et à cri, que le contrôle interne des risques avait été fortement renforcé. Ce contrôle en serait-il toujours resté aux apparences : la banque n'est pas en risque de change, c'est son client ? Mais lorsque le client est incapable de rembourser ?

Il ne semble pas que les banques françaises aient appris. Les clients d'une filiale de la Société Générale à Moscou,  la Rosbank,  viennent protester au siège de la banque, à deux pas du Kremlin. Ils sont hors d'état, après l'effondrement du rouble, de faire face à leurs échéances et ils sont menacés d'expulsion, puisque, évidemment le prêt a été consenti contre une garantie hypothécaire.

La Société Générale ne récupérera qu'une partie de ses fonds

Il est peu probable que M Poutine fasse moins que M Orban et n'intervienne pas sous une forme ou une autre. La SG ne récupérera qu'une partie de ses fonds et, elle non plus, elle n'aura que ses yeux pour pleurer.

Peut- on espérer que cette nouvelle leçon sera la bonne, que les contrôles des banques feront leur métier, et que la Banque de France et autres contrôleurs externes feront le leur. Cela n'est pas assuré, tant la banque a peu de mémoire et un appétit de lucre illimité. D'ailleurs, est-il sûr qu'aujourd'hui nos guichets bancaires ne proposent pas à des épargnants inconscients des valeurs mobilières étrangères en taisant le risque de change. Certes, ce n'est que de l'épargne, mais tout de même.

Le risqué et l'immoral font bon ménage avec la finance.

 Pierre-Yves Cossé

Janvier 2016

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Commentaires 2
à écrit le 02/02/2016 à 17:48
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Que les gens prennent les risques, et d'éventuelles pertes n'a rien d'immoral: ce qui est immoral, c'est cette volonté de toujours prendre les citoyens pour des irresponsables. il convient simplement que les gens soient avisés; ils prendront alors le...

le 04/02/2016 à 14:45
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Un citoyen de base, en face d'un spécialiste d'un domaine se fera toujours avoir. Vous vous estimez surement très compétent en finance... Bon ! si vous êtes sûr ! Mais en façe de votre garagiste, vous êtes sûr de pas vous faire avoir ... Et en face d...

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