Un voyage en Sicile

Une promenade à travers l'histoire de la Sicile. Par Pierre-Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Comme il est impossible de visiter toute la Sicile en une semaine, seule la partie se situant à l'ouest d'une ligne Cefallu/Agrigente sera évoquée.
Un voyage hors de la saison touristique a des avantages, ni queues ni bousculades (mais quelques groupes scolaires) et des inconvénients, sites et édifices fermés (déjà en saison touristique...) Voyager en Mars : les ondées, le froid et le brouillard en altitude seront vos compagnons. Mais après la pluie les éclairages sont contrastés, les paysages lumineux, la mer émeraude ou bleu profond. La végétation est sortie de l'hiver, petites fleurs jaunes et bleues parsèment une herbe d'un vert tendre.

La Sicile antique (surtout grecque)

Guy de Maupassant a écrit qu'une fois la Sicile visitée, il n'est plus nécessaire d'aller en Grèce (il n'y a jamais mis les pieds) Il est vrai que les sites antiques sont aussi étendus qu'en Grèce et les temples aussi imposants. Le choc éprouvé par le touriste était accru, en 1890, par l'absence de constructions autour des ruines. Elles surgissaient dans un écrin de verdure ou sur un fond de mer, ce qui n'était pas le cas dans une Grèce beaucoup plus construite.


Agrigente

Au sud de l'île, le site d'Agrigente, entouré d'une muraille, qui s'étend sur plusieurs kilomètres, formait une couronne regroupant une vingtaine de temples. La Vallée des Temples, qui est fait un chemin de crête, se situe entre la mer, en retrait, et une ville qui a été remplacée par des constructions modernes denses et agressives. Il venait de pleuvoir et les amandiers en fleurs embaumaient. Le temple de la Concorde, le mieux conservé (34 colonnes recouvertes de stuc), comparable à celui de Paestum, construit par des esclaves, a été transformée en basilique chrétienne par les Byzantins au VIe siècle et définitivement désaffectée au 18è. Du temple de Zeus Olympien, un des plus grands temples grecs (no 3) il ne reste que peu de choses, sinon l'énorme autel où étaient sacrifiés les taureaux et une des statues de géants (8 m de haut) symbolisant des barbares carthaginois devenus esclaves, qui portaient la couverture.
La richesse des collections des 18 salles du musée (vases attiques d'une très grande qualité, statue d'éphèbe du V è siècle, odalisque en marbre) montre l'importance de la colonie grecque entre le VI è et le II è siècle avant Jésus- Christ. A côté du musée, dans l'église Saint Nicolas (XIII è siècle) une chapelle contient un sarcophage romain en marbre blanc du troisième siècle, célébré par Goethe lors de son séjour. Sur les bas-reliefs, est raconté l'amour tragique et impossible de Phèdre et d'Hippolyte, son beau-fils; les visages des deux héros et leurs expressions ont bouleversé Goethe avec raison.


Sélinonte

Toujours au sud mais plus à l'ouest, le site de Sélinonte (VI et Vè siècle avant JC) est moins riche (une acropole et cinq temples) mais plus émouvant. Des chaos d'énormes de pierres, très romantiques, « un immense amas de colonnes écroulées (Maupassant) dominent une mer aux couleurs contrastées, émeraude sur les bords et bleu intense au large. C'était le matin, la lumière était rasante et les jeux d'ombre sur les ruines accroissaient la mélancolie des lieux. A Agrigente, les conditions étaient moins favorables. Renoncez à la voiturette et marchez à pied, vous serez récompensé La ville grecque (25 000 h) reste à fouiller.

Ségeste

Ségeste, elle, est située dans un paysage de collines. La ville en conflit avec Sélinonte, s'allia avec les Carthaginois (-408) et fut détruite par les Vandales au Vè siècle. L'élément le plus remarquable est le théâtre romain (troisième siècle avant JC) de 3000 places, dont les gradins ont été directement taillés dans la roche. Construit sur une colline (440 m) il domine le temple. La vue est magnifique et s'étend par beau temps jusqu'à la mer. L'été on y donne des spectacles (tragédies grecques)
Le temple entouré de verdure est également dorique. Il a conservé son fronton et ses colonnes mais n'aurait pas été achevé (pas de toit)

La Sicile arabo- normande

Compte tenu de sa position géographique, il n'est pas surprenant que cette grande île, prospère un temps, ait attiré de nombreux peuples vivant autour de la Méditerranée : Phéniciens, Carthaginois, Villes grecques, Romains, Byzantins, Arabes du Maghreb et d'ailleurs, Espagnols, Piémontais. La plupart de ces envahisseurs y ont laissé leurs traces, au point que le pays « n'a pas une seul d'identité mais d'innombrables » (Fernandez).
En revanche, il est plus surprenant que des Normands installés dans notre Cotentin aient dominé la Sicile pendant plusieurs siècles et aient marqué ce pays d'une manière si originale que la période arabo- normande suscite encore l'admiration.
Charles d'Anjou, qui succéda, n'a laissé que de mauvais souvenirs. Quant à Murat, roi de Naples, il ne put conquérir la Sicile : les Anglais veillaient. Cette Sicile a été évoquée dans un blog précédent « à la recherche de nouveaux Normands » Nous n'y reviendrons pas.
La chapelle palatine du Palais des Normands à Palerme, Saint Jean des Ermites et son jardin luxuriant, Sainte Marie de l'Amiral (la Martorana) la cathédrale de Monreale et son cloître, le Duomo de Cefalu suffisent à justifier le déplacement. Guy de Maupassant regardant « ces grands ciels d'or peuplés d'apôtres ...les marbres s'opposant aux mosaïques » exprime son admiration : « Ces églises « lumineuses et sombres suscitent cette joie que les choses d'un gout absolu font entrer dans l'âme par les yeux »

La Sicile baroque des Bourbons d'Espagne

Le baroque sicilien est une importation espagnole et les Jésuites en ont été des artisans actifs. Il a triomphé à Palerme. Il continue de marquer l'architecture (places, églises, couvents, palais) et la décoration (miroirs, lambris, marqueterie, majoliques, mosaïques)

Chapelles et Eglises

Son grand homme est Serpotta, « le magicien du stuc » qui n'a jamais quitté son île. En fait c'était une famille de sculpteurs prolifiques dont le plus célèbre est Giacomo. Ils travaillaient le stuc, matériau moins couteux que le marbre et répondaient notamment aux commandes des confréries, nombreuses et puissantes à la fin du XVIIème siècle. Les statues de style quasiment rococo, souvent recouvertes de poussière de marbre qui leur donnent un aspect brillant, sont souvent logées dans des niches des murs des chapelles. Certaines sont fermées, d'autres rénovées (suite notamment à une campagne d'un amateur américain) et quelques unes appauvries par des vols successifs.

A Santa Cita, le panneau du fond représente la bataille de Lépante et en dessous deux enfants, des anges et de joyeux putti. L'oratoire San Domenico conserve un retable de la Vierge (dominante bleu et rouge) et une crucifixion de Van Dyck (il a visité la Sicile) les sculptures illustrent les mystères du rosaire et des épisodes de l'Apocalypse et des statues représentent les Vertus (dont une émouvante Mansuétude) ; l'ensemble est théâtral et beau. La Nativité de Caravage, une des plus belles œuvres qu'il ait peintes en Sicile (un clair-obscur avec un ange, bras déployés volant vers la crèche et un Saint Joseph aux cheveux blancs enveloppé dans un manteau vert), fait la renommée de l'oratoire Santo Lorenzo mais il a été volé en 1969, le très beau sol en marqueterie a été conservé.
Dans l'église du Gesu conçue par un jésuite dans l'esprit de la contre-réforme, la seconde église jésuite après Rome, une chapelle abrite des Serpotta (le dernier), au moins ceux qui n'ont pas été volés après l'expulsion de 1767 ; les sculptures sont censées représenter les Vertus, soit de jolies jeunes filles de la bonne société palermitaine. Les murs de l'église sont couverts de marbres polychromes, de marqueteries, de statues et d'arabesques. Les bas-reliefs en marbre de l'abside avec leurs putti bien en chair séduisent. Quelle richesse (le marbre venait principalement d'Italie) Quelle profusion ! Des toiles de maître ont survécu au bombardement de 1943 dont Pietro Novelli, un caravagesque qui a influencé les peintres locaux.
L'église Santissimo Salvatore, à la décoration baroque en stucs et marbre a malheureusement subi beaucoup d'outrages : bombardement, transformation en salle de concert, rénovation médiocre.
Castelbuono, est situé sur les hauteurs, dans l'arrière pays de Cefalu (une centaine de kilomètres à l'est de Palerme), au sein du massif des Madonies. Son château du XIV è, un volume cubique de style vaguement arabe, transformé en musée est juché au haut du village. Sarpotta, Giuseppe le frère, n'a pas laissé un espace libre sur les murs de la chapelle palatine. Le baroque poussé ici à son extrême est devenu prolifération et grouillement de nus, sous couvert de scènes mythologiques ou tirées des Ecritures Saintes.
Plus bas dans le village, la crypte de Sainte Marie de l'Assomption (14è siècle) est décorée de peintures à fresque réalistes et expressives (17 è) sur le thème de la mort du Christ (soldats romains allongés, visage blanchâtre du Christ mort, têtes de Juifs) un art simple et puissant. Au dessus, un polyptique grandiose représente le couronnement de la Vierge.

Dans le village escarpé de Caccamo (tête de cheval pour les Carthaginois qui en avaient fait un lieu de refuge) la piazza Duomo, un décor de théâtre, se compose du Mont de Piété (17è) de l'oratoire du Saint Sacrement, de l'église des Ames du purgatoire ornée d'une balustrade rythmée par quatre statues et du duomo. Dédié à Saint Georges et adossé au château, il contiendrait une belle toile de Mathias Stomer...mais il était fermé.
La nef unique de San Benedetto a conservé un superbe pavement en majolique du 18è. C'est de la tribune fermée par une belle grille baroque que l'on peut le mieux admirer « le bateau insubmersible » qui symbolise l'église et la douceur du vert et du jaune.

Palais

Beaucoup des grandes demeures de la noblesse palermitaine n'ont pas résisté au temps, disparues, tombant en ruines, inaccessibles.
Le célèbre Palais Gangi (18è) où a été tourné le film « le Guépard » de Lucchino Visconti est en parfait état. Des visites privées et couteuses sont possibles. La princesse, une française fille de pharmaciens, dont le prince est tombé amoureux alors qu'il pratiquait le ski à Chamonix, s'occupe avec soin de l'entretien du Palais. Ce n'est pas une mince tâche, d'autant que la princesse collectionne et accumule les objets, à mon sens à l'excès. Après avoir traversé plusieurs salons (le rouge pompéien, le vert) une salle à manger et admiré tapisseries meubles et tableaux (Novelli), vous êtes dans la fameuse salle du Bal avec son double plafond ajouré, son sol en majolique, ses miroirs, son lourd mobilier doré vaguement Louis XV, ses lustres de Murano. Vous êtes accueillis par un extrait de la musique du film. Vous n'avez plus qu'à fermer les yeux et vous voyiez Burt Lancaster valsant avec Claudia Cardinale qui se reflètent dans les miroirs et les grands rideaux rouges agités par le vent. Le salon donne sur une belle terrasse, qui est la partie du Palais où vous auriez le plus envie de vivre.
La Villa Palgonia est moins connue mais plus originale. Elle n'est pas dans Palerme mais à une quinzaine de kilomètres à l'est, la noblesse napolitaine ayant décidé de vivre à l'écart du pouvoir politique. Construite début 18 è, c'est un premier exemple du baroque sicilien. Sa notoriété lui vient principalement des statues de monstres à visage humain qui entourent son jardin et lui vaut l'appellation de villa des monstres. Les personnages (dames, chevaliers, musiciens) et leurs expressions sont d'une grande diversité. Que pouvait avoir dans la tête le propriétaire qui les a commandés et l'architecte qui les a conçues ?
L'intérieur est quasiment aussi célèbre avec, au premier étage, son plafond tapissé de peintures représentant un ciel plein d'oiseaux et de miroirs engendrant des effets d'optique. Il serait propice à la méditation (regarde- toi et contemple l'image de la fragilité humaine) Malheureusement, la détérioration est telle que vous ne voyiez quasiment rien et que vous n'avez nulle envie de méditer. Partout des traces d'humidité. La destruction du patrimoine est un des problèmes palermitains. Goethe a eu plus de chance lorsqu'il a visité le palais.

Le palais Alliata Villa Franca (18 è) , situé sur la belle place Bologni au centre historique de Palerme, est plus sobre. Giacomo Serpotta y a travaillé. La Princesse propriétaire en a fait don au Grand Séminaire. S'y tiennent des conférences et des expositions. Les visiteurs peuvent y admirer une Crucifixion de Van DYCK, deux tableaux de Mathias Stomer (Lapidation de Saint Etienne) un peintre caravagesque des Pays- Bas qui a réalisé une trentaine d'œuvres durant la dizaine d'années passées en Sicile en Sicile, le sol en majolique et les lustres vénitiens.

Le Palais Chinois

Comme sa sœur, Marie- Antoinette, Marie- Caroline, que la révolution avait chassée de Naples (1798) aimait les chinoiseries. Elle s'est fait construire dans un parc de 400 hectares un « petit Trianon » chinois, résidence d'été ou rendez vous de chasse, entouré d'un jardin à la française. L'architecture est fantaisiste : toit de pagode, colonnes antiques, revêtement d'un rouge sino-pompéien. A l'intérieur des fresques amusantes, récemment restaurées, représentent des paysages et des scènes chinoises de fantaisie. La salle à manger est « moderne » une partie de la table peut être descendue mécaniquement dans la cuisine, comme dans la résidence du tsar de Russie près de Saint- Petersburg.

Quelques musées

Le Palais Abatellis
Ce palais (fin 15è) héberge la Galeria regionale della Sicilia. La peinture caravagesque y est largement représentée : Ribera (Saint Paul Ermite) Pietro Novelli, Mathias Stomer. Mais au rez de chaussée, ce sont les œuvres d'Antonello de Messine « une Annonciation : la Vierge lit la bible et le mouvement des mains est admirable) une mystérieuse fresque « le triomphe de la mort (15è siècle) et les sculptures d'Antonello Gagini (XVI è siècle) qui attirent le plus les rares touristes présents

Le charmant et petit musée Mandralisca, à Cefalu, conserve un autre et superbe Antonello de Messine « Portrait d'un Inconnu » dont le regard souriant vous poursuit quelque soit l'endroit où vous vous trouvez. Le musée est riche également d'une belle collection de vases grecs, de poterie, de meubles et de tableaux du 17è et 18è siècle.
L'ancien couvent (14è siècle) des Carmélite de Trapani (à l'ouest de Palerme) est devenu le musée régional Pepoli, Bien restauré et peu fréquenté, il a de riches collections baroques : des Gagini (un Saint Jacques) des majoliques, des pavements en céramique aux couleurs douces (mise à mort du thon et vue de Trapani au 17ème) et plats, des peintures caravagesques (Ribera), groupes de figurines en bois et en toile représentant le Massacre des Innocents, des objets en nacre (il était ramassé dans la baie) : colliers, crucifix, dessus d'autels, des objets religieux. Un autre Gagini se trouve tout près dans la chapelle des Marins du Santuario (14è) une construction Renaissance coiffée d'une coupole. Dernier travail des Gagini (c'était une famille) la tribune en marbre, qui sert de soubassement à une Madone des Anges d'Andrea Della Robia dans Santa Maria del Gesu (16è siècle)
A Erice, petite ville venteuse et médiévale, perchée à 750 m d'altitude et cernée d'une muraille, le musée, logé dans l'hôtel de vill,e est parfois ouvert. En principe, on peut y admirer une Annonciation de Gagini, une tête féminine en marbre de style grec et des vestiges archéologiques.

Le Tourisme en Sicile

Dès le 18è siècle, la Sicile était un lieu de prédilection pour les aristocrates et les artistes visitant l'Italie. La redécouverte du site de Pompéi conduisit ces grands voyageurs à descendre jusqu'à Naples et de là à prendre un bateau pour Palerme. Ils en revenaient enchantés. La Sicile s'est inscrite dans le « Grand Tour » des britanniques. Le mouvement s'est poursuivi au 19è, le train rendant accessible de nouveaux sites.
Au 20è, le tourisme de masse, populaire et balnéaire s'est imposé avec le développement de l'aviation.
Ce tourisme est devenu un enjeu et une nécessité économique. La Sicile rattachée au royaume d'Italie, est restée un pays pauvre, en dépit de quelques réalisations mussoliniennes (les grands barrages) et de la politique en faveur du Mezzogiorno.
Des infrastructures ont été développées : aéroports, autoroutes qui partant de Palerme offrent des vues superbes sur la côte et la Méditerranée.

Des faiblesses

Mais il reste des faiblesses. Probablement pas la mafia peu visible pour le touriste, sauf lorsqu'elle vole un Caravage, mais elle doit contribuer tout de même à augmenter les prix. Surement les transports, le réseau routier est à compléter, les transports en commun à développer ou à créer dans les grandes villes. La qualité des services et de l'accueil est aléatoire et inégale. Les sites sont mal protégés. Et surtout une partie du patrimoine est en déshérence : le centre historique de Palerme est un spectacle affligeant. La gentillesse et la cuisine italienne ne suffiront pas à compenser ces faiblesses. Des politiques sont indispensables, alors que la crise politique sicilienne est permanente.

Pierre-Yves Cossé
Avril 2015

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Commentaires 3
à écrit le 14/04/2015 à 12:32
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Merci M. PYC, le pars en Sicile le mois prochain.

à écrit le 12/04/2015 à 22:31
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à ne pas oublier que l'autre moitié de la Sicile est un complément aussi valable de cette diversité culturelle, avec le temoignage de la richesse de la vie romaine reflètée par les mosaïques de la Villa Casale à Piazza Armerina, le paysage ravissant ...

à écrit le 10/04/2015 à 13:55
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Bravo, Mr PYC !

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