Femme : la French Tech face à son plafond de verre

Par Isabelle Lefort  |   |  912  mots
Après avoir dirigé Le Camping, Alice Zagury est à la tête de l'accélérateur The Family, qu'elle a cofondé avec Oussama Ammar et Nicolas Colin.
La French Tech est-elle misogyne, à l'exemple de la Silicon Valley ? Prenez garde lorsque vous posez la question : le sujet a vite fait d'en irriter plus d'un et surtout plus d'une. Combat d'arrière-garde ? Gesticulation médiatique ? La nouvelle génération du numérique prône un discours « transgenre ».

La French Tech refuse de perdre son temps à débattre en suiveuse de la Silicon Valley. Le temps des geeks exclusivement masculins est-il fini ? Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Les chiffres demeurent pourtant parlants. La filière française du numérique n'échappe pas à la tendance globale. Les femmes ne représentent que 7% des entrepreneurs des 125 start-up du baromètre France Digitale. Et d'après Syntec, elles ne totalisent que 27% des salariés du secteur.

Les ingénieurs, les webdesigners, les concepteurs demeurent majoritairement des hommes. Au-delà ? Deux filles - seulement - figurent sur les 36 startuppers de la sixième promotion de l'accélérateur de l'association Numa, Le Camping. Alors qu'à l'École 42, malgré la dénonciation dans les médias de sa « non-mixité », on ne recense toujours que 10% de jeunes femmes parmi ceux qui rêvent de devenir les Bill Gates de demain. Enfin, selon les résultats du baromètre 2014 de l'association Girls in Tech, seulement 13% des levées de fonds pour des sociétés du secteur sont accordées à des femmes. En valeur, le fossé est encore plus flagrant : elles n'obtiennent que 6 % des montants levés.

Pourquoi ? Marie Ekeland, investisseur dans le capital-risque (c'est elle notamment qui a mené l'introduction en Bourse de Criteo) et fondatrice de l'association France Digitale, le dit et le répète :

« Le problème ne repose pas sur une question de capacité, d'intelligence, d'esprit plus ou moins mathématique. Les femmes performent moins dans la high-tech tout bonnement parce qu'elles sont moins nombreuses au départ et qu'elles manquent de confiance en elles. »

Jusqu'à peu, la peur d'une vie trépidante, difficile à concilier, dans le cadre du schéma traditionnel stéréotypé, avec une famille, les dissuadait de passer seules à l'action.

« Nombre d'entre elles ont été tentées de se présenter en couple pour amadouer les banquiers et lever des fonds. C'est l'inverse qui s'est produit. Quand l'avenir d'une entreprise repose sur la création à deux, que l'amour et les affaires s'associent, les investisseurs sont plus méfiants. Au début, on voit la vie en rose ; mais quand arrivent les difficultés ? Quand les heures passées, les nuits et les week-ends attaquent le moral, beaucoup de couples n'y résistent pas. Quid alors de l'avenir de la société ? »

Les propos convergent : les représentantes de la French Tech pointent volontiers la trop forte concentration de testostérone dans le monde de la finance comme frein au développement de l'entrepreneuriat féminin. À la direction du marché des professionnels de la Caisse d'épargne, Florent Lamoureux réfute :

« Le temps où nous ne faisions pas confiance aux femmes est dépassé. Aujourd'hui, elles disposent d'une quantité formidable d'outils pour se lancer. Leur problème ? S'y retrouver, c'est une vraie jungle d'organismes, entre les CCI, les chambres de métier, les clubs d'entreprises... et de réseaux. Il existe énormément de portes, mais on ne sait pas à laquelle frapper. »

Pour y voir clair, des incubateurs comme Paris Pionnières qui se déploie désormais dans toute la France, jouent les éclaireurs. Globalement, la nouvelle génération regrette l'absence de dialogue avec ses pairs et le manque de modèles emblématiques auxquels s'identifier.

« Endurance et exigence à toute épreuve »

Celles qui désormais servent d'exemples sont plus proches d'elles. Elles sont apparues récemment dans la lumière. Telles la Montpelliéraine Rachel Delacour (Bime), lauréate des Tribune Women's Awards 2014 et Mathilde Collin (Front), qui a réussi à lever des fonds supérieurs à 3 millions d'euros à l'automne dernier. À la tête de The Family, un incubateur qui accompagne 200 start-up, Alice Zagury est l'une des figures phares de la nouvelle génération. C'est une militante de la technologie tous azimuts. Dans sa structure elle s'emploie à encourager la réussite des filles.

« Nous avons un principe : nous recevons systématiquement toutes les candidates qui nous envoient leur dossier. Pourquoi ? Parce que lorsqu'elles en sont au stade où elles envoient leur dossier, il leur a certainement fallu décupler leurs forces pour se hisser au même niveau que leurs petits camarades. Pour réussir autant qu'un homme, les femmes doivent faire preuve d'un caractère, d'une endurance et d'une exigence à toute épreuve. »

Ces nouvelles « startuppeuses » vont vite et ne s'encombrent pas de schémas d'arrière-garde. Le monde est un village, elles en font partie. Qui se met au travers de leur route est combattu d'égale à égal.

Leur leitmotiv n'est pas la revendication féministe. Il rejoint la préoccupation première : la priorité en France doit aller à l'enseignement du code au plus grand nombre. Au travers notamment de coding camps (sessions collectives d'apprentissage et de pratique du codage), mixtes ou non. Et l'encouragement par des opérations de sensibilisation aux carrières scientifiques dans les collèges et les lycées, mais aussi par l'attribution de bourses à des postbac pour que les jeunes filles fassent plus volontiers carrière dans le numérique.

Véronique di Benedetto, présidente des Femmes du numérique, en est persuadée « C'est à nous de convaincre les femmes, de leur expliquer et de les motiver sur le formidable potentiel que le numérique représente pour elles. Le secteur possède de très nombreux débouchés ; il est créateur d'emplois qualifiés à forte valeur ajoutée. Trentesix mille nouveaux recrutements sont attendus à l'horizon 2018. Les femmes y ont toute leur part. »