Algorithmes : amis ou ennemis ?

Ils sont partout. Pilotage des villes, réseaux sociaux, internet, santé, finance... notre société digitale est tissée de millions d'algorithmes qui prédisent, aident à la décision voire décident à notre place. Si leurs origines mathématiques renvoie une image d'impartialité et de rationalité, les algorithmes nous donnent le meilleur, ou le pire, du numérique. Par Philippe Boyer, directeur de l'innovation, Foncière des Régions.

Le mot magique est lâché : « Notre appli a été conçue sur la base de puissants algorithmes qui prennent leur source dans le big data ». Cette phrase, souvent prononcée par les développeurs d'applications et de services internet, témoigne de la force de ce mot qui vient nourrir notre imaginaire sur la toute-puissance du digital. Il est vrai qu'il est désormais impossible d'échapper aux algorithmes qui mettent en coupe réglée nos usages numériques.

Pour tout dire, leur discrète influence est inversement proportionnelle à leur force. Taper une requête sur Google, ce sont des algorithmes qui vous donneront les résultats les plus pertinents. Achetez un produit sur Amazon, vous verrez alors apparaitre une sélection d'autres articles « affinitaires » que vous pourriez tout aussi bien commander, regardez une vidéo sur YouTube, d'autres séquences « À suivre » vous seront proposées sans rien n'avoir demandé... autant de moments vécus qui sont les manifestations du rôle central des algorithmes qui envahissent nos vies, précèdent et dictent nos envies

L'avenir en équation

Pour en donner une définition simplifiée, l'algorithme est une suite d'instructions et de processus définis permettant de résoudre un problème. Grâce aux fantastiques capacités de calculs des ordinateurs et à la masse de données produites et stockées (Big Data), ces formules mathématiques souvent très élaborées et gardées tels de véritables secrets d'État, à l'image des algorithmes PageRank de Google[1] ou Edge Rank de Facebook, permettent d'élaborer des connaissances prédictives et ainsi d'anticiper de futurs comportements humains.

De fait, dans des secteurs aussi variés que la consommation, les transports, l'emploi, la santé, la gestion des villes, la politique, l'animation des réseaux sociaux... les algorithmes offrent une redoutable efficacité et une rapidité sans égale pour brasser d'innombrables données complexes et en tirer une analyse qui se veut rationnelle et... presque infaillible. Partant de l'idée que les comportements humains sont prédictibles, les informaticiens qui façonnent ces formules mathématiques qui se cachent derrière bon nombre de sites, sont à la recherche de ce « Graal numérique » qui permettra de mettre l'avenir en équation. Permettant de simplifier et d'optimiser des décisions qui, par le passé, pouvaient prendre beaucoup de temps, voire être considérées comme impossibles à traiter en raison d'absence d'informations, les algorithmes permettent d'incontestables avancées.

Du bon usage des algorithmes

Les marques ont vite compris l'avantage de ces formules mathématiques pour cibler aux mieux le consommateur. Criteo[2], en matière de ciblage publicitaire, Jobijoba[3] sur les sujets de recherche d'emplois ou encore Amazon qui travaille sur de nouveaux algorithmes capables de deviner à l'avance les envies de ses clients... on voit que la course à l'algorithme prédictif le plus élaboré attise les appétits. Il faut dire que le rêve d'une existence passée au filtre algorithmique ne manque pas de faire fantasmer ceux qui imaginent qu'il serait possible de presque tout prévoir. Dans le domaine de la ville connectée, le scénario du film de science-fiction, Minority Report, semble devenir réalité. Aux États-Unis (Memphis, Atlanta, Los Angeles, New York... ), mais également en Europe (Zurich, Munich, Nuremberg...), de nombreuses municipalités s'essaient à la « police prédictive » au moyen de logiciels de type PredPol[4] qui permettent de prédire la probabilité qu'un crime ou un délit soit commis dans tel quartier en fonction de l'heure ou du jour et, ainsi, de prévoir le renforcement des patrouilles.

À Songdo, en Corée du Sud, ville modèle en matière de connectivité[5], les « informaticiens » qui gèrent la ville s'appuient sur de nombreux algorithmes qui anticipent les pics de pollution ou de trafic en fonction des informations collectées et analysées par les ordinateurs. Enfin, n'omettons pas de citer les secteurs de l'assurance et de la finance qui fondent déjà une partie de leurs activités sur l'analyse des données, le prédictif et la prise de décisions par les machines elles-mêmes : le trading algorithmique représentant de 60 à 80% du volume des transactions sur les marchés européens et nord-américain[6].

Vivra-t-on mieux grâce aux algorithmes ?

En déléguant bon nombre de décisions à la machine au motif qu'elle « sait » et dispose d'une très grande quantité d'informations permettant de décider bien mieux qu'un humain ne saurait le faire, n'ouvrons-nous pas la porte à une nouvelle forme de servitude volontaire ? C'est en tout cas la thèse de nombreux philosophes et sociologues des nouvelles technologies[7] qui pointent du doigt les risques d'une sournoise « régulation algorithmiques » dictant et orientant nos choix.

Même le médiatique milliardaire Elon Musk, aux côtés de Bill Gates, Peter Thiel et Stephen Hawking, ont tous exprimé leur inquiétude de voir de nouvelles formes d'intelligence artificielle et d'algorithmes associés prendre le pas sur les décisions humaines[8]. L'enjeu n'étant pas de sombrer dans une vision négative de ces nouvelles technologies et de leurs fantastiques apports, mais d'être conscient des risques d'un monde seulement régi par le calcul et niant l'imprévisibilité de la vie.

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Pour aller plus loin

  • Eric Sadin : La vie algorithmique - Critique de la raison numérique - Editions L'échappée
  • Dominique Cardon : A quoi rêvent les algorithmes ? - Nos vies à l'heure des big data Seuil
  • Marc Dugain & Christophe Labbé : L'homme nu - Plon
  • Jean-Baptiste Rudel : On m'avait dit que c'était impossible - Stock
  • Revue France Forum : Vers l'homo algorithmus, n° 61, avril 2016

Retrouvez mes chroniques parues ici https://philippeboyer.strikingly.com/#mes-articles-and-chroniques

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[1] Rien que pour l'année 2013, Google a apporté près de 1.000 modifications à son algorithme
[2] https://www.criteo.com/fr/
[3] https://www.jobijoba.com/fr/
[4] https://www.predpol.com/
[5] https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20140306trib000818607/
songdo-la-ville-du-futur-est-deja-en-chantier.html

[6] https://www.institutjeanlecanuet.org/dossier-du-mois/numero-algorithmes--n---61--avril-2016
[7] Eric Sadin : La vie algorithmique - Critique de la raison numérique
[8] https://rue89.nouvelobs.com/2015/12/30/elon-musk-lhomme-veut-empecher-les-machines-prendre-pouvoir-262632

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