Au pays des licornes : rencontre avec Kersti Kaljulaid, présidente de la e-République d'Estonie

Invitée d'honneur pour la remise des diplômes aux étudiants de Sciences-Po, samedi dernier à Paris, Kersti Kaljulaid, présidente de la République d'Estonie, a évoqué les questions liées à la démocratie, au numérique et aux conditions d'éclosion d'une « startup nation ». Par Philippe Boyer, directeur de l’innovation à Covivio (*).
Philippe Boyer
Kersti Kaljulaid, présidente de la e-République d'Estonie qu'elle ambitionne de transformer en startup nation (Photo : à Tallinn, le 31 mai 2018).
Kersti Kaljulaid, présidente de la e-République d'Estonie qu'elle ambitionne de transformer en startup nation (Photo : à Tallinn, le 31 mai 2018). (Crédits : Reuters)

« Rapporté à nos 1,3 million d'habitants, aucun autre pays dans le monde ne peut se targuer d'avoir donné naissance à 4 licornes. »

C'est à peu près en ces termes que Kersti Kaljulaid, présidente de la République d'Estonie, de passage à Paris le samedi 30 juin 2018, rappelle que son pays, situé aux confins des Pays baltes et membre de l'Union Européenne depuis 2004, est aujourd'hui unanimement reconnu comme une référence en matière d'entrepreneuriat numérique et d'e-administration.

Ces licornes-là n'ont rien de mythiques créatures. Elles sont bien réelles avec, pour chacune d'entre elle, une valorisation au moins égale au milliard de dollars. Qu'elles s'appellent Taxify (concurrent d'Uber), Skype (service de messagerie vidéo racheté 2,6 milliards de dollars par eBay en 2005 puis revendue à Microsoft pour 8,5 milliards), Playtech (e-sport) ou TransferWise (entreprise de transferts d'argent internationaux de pair à pair), toutes sont originaires de Tallinn. Toutes sont également la preuve que le virage numérique pris par l'État estonien au milieu des années 1990 s'est révélé gagnant lorsqu'il a fallu libéraliser l'économie tout en misant sur le développement généralisé du numérique pour tous les citoyens.

"Environnement économique et législatif favorable"

Et la présidente de la "e-République" d'expliquer :

"Si l'Estonie est aujourd'hui reconnue comme une « startup nation », c'est d'abord le résultat de l'environnement économique et législatif que nous avons créé, dans lequel il n'a jamais été question de sur-réguler pour ne pas entraver la croissance de milliers de startups. Dans le même temps, nous sommes restés très attentifs à ne pas tout abandonner de notre souveraineté à ces acteurs technologiques qui ont accompagné la transformation de notre pays. Grâce à cette politique qui repose sur la primauté de l'État en matière de choix technologiques au service de tous nos citoyens, l'Estonie a réussi à garder le contrôle en particulier sur les sujets sensibles qui mêlent algorithmes et données personnelles. »

Dans cet État où, depuis 2002, chaque citoyen dispose d'une carte d'identité personnelle numérique permettant d'accéder aux « e-services publics » et où les élèves, les enseignants et les citoyens ont été formés à l'usage de ces nouvelles technologies, le pari estonien repose à la fois sur la responsabilisation citoyenne tout en se fiant à un État devenu tiers de confiance numérique.

Le futur numérique de l'Estonie s'écrit en Blockchain

Lancé en 2014, le programme « d'e-résidence » fait partie de ces initiatives destinées à attirer les entrepreneurs du monde entier. Ce statut par lequel les étrangers peuvent postuler, par internet, pour devenir « e-citoyen » et ainsi se simplifier les procédures administratives pour créer une entreprise et ouvrir un compte bancaire a permis à l'Estonie de faire connaître sa stratégie numérique à la fin des années 1990, aussi connue sous le nom de « program X-Road ».

C'est cet ambitieux programme de transformation numérique de la société qui a permis à l'Estonie de présenter ses « e-services administratifs » par-delà ses frontières en démontrant que le numérique pouvait être la solution pour les États à la recherche de voies et moyens pour simplifier leur fonctionnement. C'est à ce titre que la France et l'Estonie entretiennent des liens étroits :

« Sur ces sujets de digitalisation de l'administration, le président Macron et le secrétaire d'État en charge du numérique, savent que l'Estonie est un laboratoire pour tout ce qui concerne la digitalisation et la simplification administrative (1). Nos deux pays travaillent en étroite collaboration sur ces sujets», ajoute la présidente Kersti Kaljulaid.

Des technologies pour faciliter la coopération entre les États

L'Estonie a prévu d'aller encore plus loin avec, d'ici à janvier 2019, la création d'un visa "Digital Nomads" pour inciter les startuppers du monde entier à venir « essayer » le pays et s'y installer pendant une année. Il faut dire qu'avec un réseau wifi public largement accessible sur l'ensemble du territoire, rien n'est plus facile que le travail à distance.

« Si nous devions repenser le programme « X-Road » qui nous a permis de devenir un véritable État-numérique, je ne doute pas que nous garderions en l'état la façon dont a été pensée l'architecture principale de ce projet consistant à digitaliser le pays au service de ses citoyens. Aujourd'hui, nous continuons à ajouter sans cesse de nouveaux services numériques en nous appuyant sur cette infrastructure numérique pensée pour digitaliser le pays. En revanche, il est certain que, à l'avenir, nous nous appuierons beaucoup plus sur de nouvelles solutions technologiques plus prometteuses. Je pense notamment à la Blockchain. Même si nous avons déjà des systèmes de signatures électroniques qui permettent de s'authentifier pour voter ou aller chez le médecin... avec la technologie Blockchain, tous ces actes citoyens deviendront encore plus transparents et plus sûrs. J'ajoute que ces technologies faciliteront également la coopération entre les États - par exemple, avec la Finlande et l'Islande, pays avec lesquels nous avons noué de nombreuses formes de coopération technologiques, dont celles d'échanges de data publiques en faveur de l'amélioration des services publics », expliquait la présidente estonienne.

Kersti Kaljulaid insiste également sur le fait que toutes ces avancées technologiques se doivent d'être conduites en lien étroit avec les acteurs privés, ces partenariats entre acteurs publics et entreprises privées permettant à chacun de bénéficier des avancées de l'autre et, ainsi, de développer de nouvelles solutions immédiatement testables.

Lors de sa venue à Paris, samedi 30 juin, Kersti Kaljulaid était l'invitée d'honneur lors de la remise de diplômes aux étudiants de Sciences-Po. Dans ses propos, et même si le sujet de son intervention portait sur les espoirs et les ambitions pour la jeunesse, le numérique n'était jamais loin :

« Les machines seront certes de plus en plus performantes mais elles ne seront jamais aussi intelligentes que les humains. Notre monde n'est pas encore prêt à ces grands changements, mais vous devez rester vigilants. »

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NOTE

(1https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/l-estonie-royaume-du-tout-numerique-774138.html

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A PROPOS DE L'AUTEUR

(*) Philippe Boyer est directeur de l'innovation à Covivio (le nouveau nom de Foncière des régions).

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