Le numérique est dans le pré

D’ici à 2050, la population mondiale approchera les 10 milliards dont 7,5 milliards dans les villes. L’explosion urbaine couplée à la nécessité de nourrir 3 milliards d’humains supplémentaires tout en préservant la planète obligera à inventer de nouvelles forme de productions agricoles. L’enjeu de l’AgTech, secteur des innovations technologiques dans le secteur agricole, sera de produire plus avec moins. Par Philippe Boyer, directeur de l'innovation, Foncière des Régions.

La ferme 3.0, préfiguration de l'agriculture numérique, existe déjà, ou plutôt sa  maquette grandeur nature située dans le petit village d'Aizecourt-le-Haut, dans la Somme. C'est à l'initiative de la Chambre d'agriculture de ce département que robots, drones et systèmes basés sur le big data sont testés  dans cette ferme, certes digitalisée, mais néanmoins bien réelle sur ses 340 hectares.

Sur place, cette exploitation agricole nouvelle génération ressemble à un « lab » destiné à expérimenter l'activité agricole du futur ; le tout au moyen de la robotique et de l'agriculture de précision. Il faut dire que la mise en œuvre de solutions innovantes pour nourrir une population grandissante n'attend pas face à ce défi démographique, l'agriculture doit au moins relever 3 défis de taille : nourrir la planète, réduire l'empreinte environnementale tout en participant à la lutte contre le changement climatique et fournir des matières premières adaptées pour les nouveaux usages énergétiques... Sorte de quadrature du cercle apparemment impossible à concrétiser, mais que les nouvelles technologies appliquées au monde agricole permettent désormais d'envisager.

Eclosion de la cyber-agriculture

À quoi pourrait ressembler la ferme du futur ? Comme dans d'autres secteurs économiques, les « ageekculteurs » utiliseront drones, big data, machines et objets connectés : les drones pour évaluer, en temps réel, l'état hydrométrique des terres, des machines agricoles guidées par GPS capables de produire des «rapports de parcelles», des objets connectés pour suivre l'évolution des récoltes ou le pilotage à distance de l'alimentation des élevages sans oublier le « big data » et l'analyse de données permettant de construire de futurs modèles prédictifs censés anticiper les risques climatiques...

Avec ces types d'applicatifs, le numérique permet de passer d'une production de masse à une agriculture de précision. Cette révolution numérique du secteur agricole attire de nombreuses « jeunes pousses » bien décidées à faire éclore cette cyber-agriculture connectée et collaborative.

Collecte de données en temps réel sur la météo (en 2014, Monsanto a investi 1 milliard de dollars pour acheter The Climate Corporation, startup californienne, spécialisée dans l'analyse des données météorologiques), analyse de sols et de l'air, drones agricoles, plateformes de financement participatif... le champ du numérique de cette cyber-révolution est presque sans limite à tel point qu'aux États-Unis, le FBI n'a pas hésité à adresser aux agriculteurs et éleveurs de ce pays une information sur les risques de cyber-attaques ; en particulier sur le piratage des données de leurs exploitations. La détention et la protection de ces grandes quantités de données sur les sols, les plants, les animaux, les machines et les conditions environnementales, et ce par les objets connectés, est un enjeu majeur. Qui détiendra ces données ? Seront-elles revendues à des tiers ? La question est sensible lorsque l'on sait que les données peuvent intéresser de nombreuses personnes ; à commencer par les assureurs ou les fournisseurs des agriculteurs.

Loin des plaines du Middle-West, la cyber-agriculture française se développe à l'initiative de nombreuses startups qui organisent leurs offres autour de thèmes liés aux nouvelles manières de produire, à l'optimisation de la production ou encore à la prédiction des volumes de production (animalière ou végétale). La liste de ces entreprises innovantes est longue mais citons notamment Airinov, pionnier du drone agricole,  qui a développé un système de cartographie agronomique par drone qui mesure, grâce à des capteurs, les taux de chlorophylle ou d'azote des plantes et des sols. De son côté, Smag commercialise des solutions informatiques destinées à cartographier les sols et ainsi mesurer les besoins en azote, minéraux et nitrates des sols. Autant d'initiatives technologiques qui vont dans le sens d'une approche plus différenciée grâce à la prise en compte des données sur l'environnement des exploitations. Les agriculteurs s'emparent aussi de l'économie collaborative comme en témoigne le succès de la startup WeFarmUp, sorte d'Airbnb du matériel agricole. On comprend l'intérêt de ce service de  location de matériel entre agriculteurs quand on connait les prix des  tracteurs, semoirs et autres matériels d'élevage. Née il y a quelques mois, cette startup a réussi  à fédérer 1.000 agriculteurs dans toutes les régions françaises.

Nourrir la planète

Aux États-Unis, la croissance des AgTech ne porte pas seulement sur l'amélioration de la productivité agricole, mais aussi sur la mise au point de nouveaux aliments. Pour ces startups dont l'activité se situe à mi-chemin entre la biologie et l'agroalimentaire, l'enjeu est de proposer des solutions de remplacement aux protéines animales, dont les impacts néfastes pour l'environnement et la santé humaine sont régulièrement pointés du doigt. Œufs produits en laboratoire et sans poule, fromage sans lait, steaks végétaux, fermes d'insectes... la nourriture de demain se conçoit aujourd'hui. À côté de ces inventions sur nos aliments de demain, l'autre challenge consiste à proposer de nouvelles solutions pour endiguer le gaspillage alimentaire tout en faisant des villes les futurs relais de la production agricole. Côté « chasse au gaspi », des startups se sont créées pour mettre en relation l'offre et la demande et ainsi empêcher que des milliers de tonnes d'aliments comestibles ne soient transformées en déchets. Autre défi, le développement de l'agriculture urbaine pour nourrir les 7,5 milliards d'urbains d'ici à 2015. Qu'elles soient sur les toits ou verticales, en lumières artificielles ou en ayant recours à l'aquaponie... ces fermes urbaines proposent toutes de relever ce challenge d'une production agricole renouvelée.

Autant d'idées nouvelles et de promesses qui répondent aux défis agricoles de notre temps si éloignées de l'image traditionnelle de l'agriculture décrite il y a plus d'un siècle dans les vers du Semeur de Victor Hugo :

"Je contemple, ému, les haillons,
D
'un vieillard qui jette à poignées,
La moisson future aux sillons.
Il marche dans la plaine immense,

Va, vient, lance la graine au loin...
Le geste auguste du semeur."

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Par Philippe Boyer, directeur de l'innovation, Foncière des Régions.

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Commentaire 1
à écrit le 11/09/2016 à 12:48
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Article intéressant ... En 2050 nous serons ( peut être sans moi ) 10 milliards de terriens et tout est fait pour que l'on puisse les nourrir ... Les bobos sont content !!! Mais dites moi en 2070 nous serons combien ? Et en 2100 ? Notre technologie ...

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