À Davos, la fin d'un monde

ÉDITO. Dans ce monde en pleine recomposition, l'Occident, paralysé par l'essor des populismes et tenté par la fermeture des frontières, fait face à l'inexorable montée des pays émergents - Chine et Inde en tête -, qui professent strictement l'inverse. Par Philippe Mabille, directeur de la Rédaction.
Philippe Mabille
(Crédits : Reuters)

Souvent critiqué comme le sommet des riches et de l'entre-soi, le forum économique mondial de Davos, qui s'est tenu cette semaine, est aussi, par sa dimension internationale, un marqueur unique des tendances de l'époque. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la température polaire qui s'est abattue sur la station des Grisons suisses est en phase avec le climat économique mondial.

Rien à voir avec l'euphorie qui régnait l'an dernier. Juste à l'ouverture du sommet, Christine Lagarde, la présidente, française, du FMI, a affiché la couleur : « Une récession mondiale n'est pas au coin de la rue, mais le risque d'un recul plus prononcé de la croissance mondiale a augmenté », a-t-elle indiqué en commentant la nouvelle révision à la baisse des prévisions de l'institution. Résultat, un moral des patrons en chute libre, selon la traditionnelle enquête de PwC auprès des CEO : 29% des 1.300 dirigeants de 91 pays interrogés anticipent un recul de la croissance mondiale en 2019, c'est six fois plus que début 2018. Seuls 42% (contre 57% l'an dernier) continuent d'espérer une amélioration.

Le pessimisme règne dans toutes les régions du monde et les inquiétudes sont multiples : en numéro un vient l'excès de réglementation, en lien avec la montée du protectionnisme commercial, mais aussi la pénurie des talents. Selon PwC, sept des dix préoccupations majeures ont un lien avec les politiques gouvernementales (réglementations, politique commerciale, populisme), et « cela pousse les entreprises à consolider leurs positions plutôt que de chercher à conquérir de nouveaux territoires ».

Coup de froid politique également

Pour la première fois depuis sa création en 1971 par le professeur Klaus Schwab, qui voulait en faire une plateforme de rencontres entre les politiques, les entreprises et la société civile, le World Economic Forum a été davantage commenté pour ses grands absents que pour ses présents. Donald Trump, le président américain, a annulé son voyage en raison de l'interminable shutdown de l'administration américaine et a refusé la venue du secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin. Seul le secrétaire d'État, Mike Pompeo, est intervenu, en vidéo depuis Washington, une bonne nouvelle pour le climat alors que plus de 1 500 jets privés (200 de plus que l'an dernier, qui avait déjà affiché un record) ont servi à transporter en Suisse les happy few de la planète.

Deuxième absent de marque, Xi Jinping, le président chinois, qui avait en 2017 vanté le libre-échange comme une forme de contrepied à la nouvelle stratégie américaine, a quand même délégué son vice-président avec une importante délégation chinoise, signe du basculement du monde vers l'Est.

Du côté européen, Theresa May, empêtrée dans l'impasse du Brexit, a décliné l'invitation, de même qu'Emmanuel Macron, le président français, qui a sans doute pensé que sa présence à Davos, ce temple du capitalisme libéral et de la mondialisation, était peu compatible avec sa tentative de renouer le dialogue avec les Français en pleine crise des "Gilets jaunes.

Au centre du jeu, la rivalité entre les États-Unis et la Chine

On dit souvent que les absents ont toujours tort... Et de fait, à Davos, on n'a parlé que d'eux, et plutôt en mal. La rivalité entre les États-Unis et la Chine est au centre du jeu et l'on se préoccupe de la dégradation rapide des relations entre les deux pays, à l'image de l'affaire Huawei, le groupe chinois de télécoms soupçonné d'être le cheval de Troie de l'espionnage chinois, mais très présent pourtant à Davos avec un espace sur la Promenade, la rue centrale, et la venue de son président, Liang Hua.

L'absence de Trump, de May et de Macron résonne comme un signe supplémentaire du déclin du monde occidental, paralysé par l'essor des populismes et tenté par la fermeture des frontières, face à l'inexorable montée des pays émergents, Chine et Inde en tête, qui professent strictement l'inverse, comme un retournement de l'histoire.

Comme chaque année, mais plus encore pour cette édition, beaucoup prédisent que le monde de Davos touche à sa fin, que ce forum de la mondialisation malheureuse sera peut-être l'une des dernières éditions. Le 17 janvier, l'ancien chroniqueur du New York Times Anand Giridharadas, qui est aussi l'auteur de The Winners Take All, appelait sur Bloomberg à « annuler Davos, la réunion de famille des gens qui ont cassé le monde ».

Le fossé entre les plus riches et les plus pauvres n'a jamais été aussi grand

L'enquête d'Oxfam selon laquelle 26 milliardaires ont une fortune équivalente à ce que possède la moitié de la population mondiale - même si la méthodologie est plus que critiquable sur le fond - a mis l'accent sur une réalité : jamais, depuis l'orée des années 1930, le fossé entre les plus riches et les plus pauvres n'a été aussi grand. Comment s'étonner dans ces conditions de la montée de la révolte, qui n'est pas que celle des « gilets jaunes » en France, mais un phénomène mondial que les progrès technologiques risquent d'aggraver encore plus en creusant le fossé entre les travailleurs capables de s'y adapter et les autres.

Comme un symbole de plus, le ministre français de l'Économie, Bruno Le Maire, a fait le voyage à Davos pour plaider pour un capitalisme à l'européenne, alors que le monde est « pris en tenaille entre une croissance qui ralentit et des inégalités de plus en plus insupportables ». Le ministre a défendu sa taxe sur les géants du numérique, mais la France seule ne peut réguler un système qui a engendré des monopoles mondiaux.

Pire, la taxe Le Maire risque de se retourner contre les champions français du numérique dont le développement mondial risque d'être entravé par cette fiscalité sur le chiffre d'affaires. Mais au moins, la France, qui portera le même message au G7 dont elle assure cette année la présidence à Biarritz, pourra-t-elle dire qu'elle a tenté de faire quelque chose.

Philippe Mabille

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Commentaires 9
à écrit le 26/01/2019 à 11:09
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Il faudrait «  arrêter » de prendre les consciences collectives pour des « c*** » La montée du populisme est «  clairement- nettement » voulue dans le monde entier par toutes les puissances. La raison : la «  peur » de perdre leurs objectifs ( priv...

à écrit le 24/01/2019 à 13:54
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On apprend en même temps que des agences d'escorts-girls "fournissent" Davos. Notre Préz, qui a toujours un hélico près à décoller a vanté le Choose France auprès des amis Mittal et autres pédégés de GE sur le point de charger la charrette de sans...

à écrit le 24/01/2019 à 13:19
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26 entreprises mondiales dirigées par des milliardaires fondateurs et éclairés sont une chance pour le monde et un facteur de stabilité. Car nombre de gouvernements qui détenaient la puissance hier sont pommés aujourd'hui et incapables de répondre au...

à écrit le 24/01/2019 à 11:56
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L'ouverture affiché par l'Inde et la Chine contrairement a l'Europe qui ferme ses frontiéres du fait des populismes ??? Je ne sais si il y a bcp d'africains et de musulmans qui ont envie de migrer en Chine ou en Inde , pays ou les libertés pour la C...

le 26/01/2019 à 6:58
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Je vois qu'il y a encore des gens lucides . Entièrement d'accord.

à écrit le 24/01/2019 à 11:42
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ah, J'oubliais, pour les futures élections boycottons cette mascarade dite démocratique.

à écrit le 24/01/2019 à 9:53
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les milliardaires et rentiers par actions qui s'inquiètent de ce qu'ils ont créé par leur rapacité, et qui ont dans un coin de leur tête le "comment faire payer aux riens" les problèmes écologiques, le chômage, et dans le même temps leurs faire repro...

à écrit le 24/01/2019 à 9:04
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"Bruno Le Maire, a fait le voyage à Davos pour plaider pour un capitalisme à l'européenne" Le modèle européen: des actionnaires milliardaires subventionnés par les états tout en imposant des politiques d'austérité aux peuples européens anéantie la...

à écrit le 24/01/2019 à 8:09
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"La fin d'un Monde"...l'apostrophe et une lettre en moins sont la prochaine étape.

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