De l'histoire méconnue des super-héros français

Pour cette multi-entrepreneure engagée, qui considère ses pairs comme des « mini-héros » de leur génération, la rencontre avec des commandos marines a quelque chose d'une révélation : celle de l'altruisme et de l'abnégation.
"Je ne me voyais pas du tout ajouter à la liste de mes activités un engagement pour l'armée. Mais je n'ai pas dit non - il faut connaître pour renoncer."

Je suis engagée. En tout cas, c'est ce que j'aurais encore prétendu il y a quelques mois. Serial entrepreneure, fondatrice d'associations, chef d'entreprise, je défends mes idéaux, m'engage, dans la mesure de mes moyens, pour les femmes, la jeunesse, l'entreprise, la politique. Je donne de mon temps extensible et de mon énergie débordante pour faire avancer les causes qui me portent ; l'entrepreneuriat est mon canal d'expression, l'engagement ma matière première, l'emploi que je crée ma source de reconnaissance. Je n'ai pas besoin d'applaudissements, je « kiffe » ma vie. J'ai la chance de vivre intensément chacun de mes rêves, j'ai le luxe de me dire que rien n'est impossible, j'ai la confiance qui va avec. Et le privilège de faire aujourd'hui partie de cette petite frange de la population qui fait briller quelques yeux dans une France terne, moribonde et manifestement en repli : les entrepreneurs.

"Des mini héros 'shiny' de ma génération..."

Mini-héros de notre génération, ils se bougent, innovent, entreprennent, rêvent, bousculent les frontières, les codes, les normes, les privilèges, les statuts. Ils ont moins de 35 ans et vous les voyez partout, sur papier glacé ou à la télé. C'est parce que je fais partie de ceux-là que la Marine m'a appelée. Oui, la Marine nationale, ce truc obscur pour une génération, la mienne, qui n'avait, jusqu'à récemment, jamais vécu la guerre de près ; génération qui évolue dans un monde globalisé où les frontières relèvent parfois du concept ; génération pour laquelle, très souvent, l'armée se résume à des treillis qui déambulent dans les couloirs des gares, un fusil-mitrailleur à l'épaule et, parfois, un pompon rouge sur la tête.

La Marine est venue me chercher, moi l'entrepreneure engagée, pour, m'a-t-on expliqué, « tisser des liens entre l'univers des jeunes entrepreneurs et celui des marins ». Allons bon. J'aurais pu dire non, je ne connaissais rien aux militaires, je partageais probablement pas mal des stéréotypes de mes concitoyens sur le sujet, mon agenda était « archibooké » et je ne me voyais pas du tout ajouter à la liste de mes activités un engagement pour l'armée. Mais je n'ai pas dit non - il faut connaître pour renoncer. J'ai dit : « Pourquoi pas, montrez-moi ce que c'est, je déciderai après. »

J'ai embarqué sur un bâtiment de projection et de commandement, un porte-hélicoptères pour nous autres néophytes. Quatre cents hommes à bord. 90 % de mecs. Vingt-sept ans de moyenne d'âge. Parmi eux, des commandos marines, petit nom mignon des forces spéciales de la Marine nationale. Unité d'élite, ces supermarins me semblaient, de prime abord, partager pas mal de points communs avec les entrepreneurs : vifs, ultra-engagés, d'une abnégation à toute épreuve et ayant quelque chose de viscéral à prouver à soi et au monde. Ici s'arrête la comparaison. Car, en les côtoyant, au fil des jours, je me suis aperçue, naïve (et prétentieuse ?) que j'étais, qu'il y avait une différence de taille. Qu'il est si facile de s'engager quand on n'a rien à perdre et tout à gagner. Que mes engagements ne sont rien à côté du leur. On a pourtant le même âge, les mêmes convictions, la même flamme au fond de nous, cette même rage de bouffer le monde. Et pourtant, ils sont des héros alors que je n'en suis pas. Résolument. J'ai compris là-bas le sens de l'engagement. J'ai compris ce qu'il impliquait. Je ne parle pas ici de la dimension militaire, c'est un autre débat. Je parle là de l'engagement au sens noble du terme. Quand on se donne tout entier pour une cause à laquelle on croit. Sans se préserver, sans rien avoir à gagner. Et au risque de tout perdre. Les commandos sont de cette trempe-là. Et c'est d'eux que je voudrais parler. C'est pour eux que je voudrais écrire.

... aux super héros de l'ombre

Fantômes de notre génération, ils sont entrés dans la Marine avec quelques poils en menton. Aujourd'hui, ils partent « au carton » plusieurs fois par an, parfois six mois durant, au Mali, en Irak ou en Afghanistan. Loin de tout, loin de tout ce qu'ils aiment, loin de tous ceux qu'ils aiment, ils agissent en silence, dans le sable et la poussière, véritables chirurgiens de la guerre. Ils ont moins de 35 ans et... vous ne les voyez nulle part. Vous ne connaissez même pas leur existence. Et pourtant ils sont partout. Cachés, sur papier glacé ou à la télé.

Ils étaient les gardiens lointains de notre tranquillité, de notre insouciance, de notre ignorance, avant que de terribles événements ne viennent nous rappeler que, oui, nous sommes en guerre. Ils ont mon âge et ont fait don de leur vie pour protéger la vôtre. Sans même que vous ne le sachiez. Vous ne pouvez donc pas leur dire merci. D'ailleurs personne ne le leur dit. S'ils sont rentrés dans les forces spéciales avec le rêve d'ado d'être des super-héros, par la force des choses ils le sont devenus. Super-héros de l'ombre, qui parfois se blessent ou disparaissent dans l'indifférence la plus totale.

"Ils m'ont rendue fière d'être française"

Ils ont tous en commun ce quelque chose de surhumain. Probablement parce qu'ils survivent plus qu'ils ne vivent. Et c'est moins la guerre, le véritable enfer, que le retour à la vie « normale ». Une vie où personne ne les attend. Partis trop longtemps, leurs femmes s'en sont allées entre-temps. Les bébés naissent à distance, les enfants grandissent en leur absence. Lorsqu'ils se retrouvent sur le tarmac, de retour après six mois de mission, parfois personne - ni civil ni militaire - ne les attend. Il faudra se fondre dans la société comme si de rien n'était, supporter de n'être plus rien ni personne. Ou encore craindre de ne pas être renouvelé - car oui, nos forces spéciales sont en CDD.

Ce qui m'indigne, c'est que ce n'est pas la guerre qui les tue. C'est notre silence. Les choix politiques, probablement en partie justifiés mais jamais expliqués, de ne pas parler de ces héros-là. Vous pourriez rétorquer « cela fait partie du métier », je n'en suis pas convaincue.

Dans une France qui se cherche, qui se replie, qui s'humilie, et, alors que nous manquons cruellement d'idéaux et de super-héros pour les porter, qu'attendons-nous ?

Oui, il y a des hommes et des femmes qui s'engagent, qui sont fiers d'être français, qui portent le drapeau sur leur dos et non pas accroché à la fenêtre le temps d'une cérémonie. L'engagement, l'altruisme, l'abnégation : ces valeurs qu'on n'apprend plus à l'école et trop peu dans les familles, étaient inscrites sur le visage de ces hommes. Elles m'ont portée, elles m'ont rassurée, elles m'ont inspirée. Ils m'ont rendue fière d'être française. Je voudrais partager avec eux un peu de cette lumière qui baigne les jeunes entrepreneurs, car il y a plus héroïque que nous.

S'ils n'ont pas la reconnaissance de ceux pour lesquels ils s'engagent, alors ils n'ont rien. Si nous n'avons pas la connaissance de ce qu'ils sont, alors nous ne pouvons dire merci. Maintenant, vous savez.

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L'AUTEUR

Emmanuelle Duez est la fondatrice de Women'Up et de The Boson Project

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Commentaires 9
à écrit le 09/01/2016 à 21:04
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Étant un ancien de cette unité, je tiens à vous remercier pour cet article et à ajouter que pour beaucoup d'entre nous, la possibilité de faire ce boulot avec tant d'abnégation est également due au fait d'avoir à nos côtés des épouses qui subissent t...

à écrit le 09/01/2016 à 18:34
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Merci madame pour ce bel hommage rendu à ces jeunes gens si courageux qui ont choisi de faire de leur vie un dépassement de soi au service de leur pays et des autres et qui malheureusement , dans ce pays de bisounours assistés et dépendants des média...

à écrit le 09/01/2016 à 14:39
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Merci pour votre article, en ce début d'année 2016 ! Et meilleurs vœux :)

à écrit le 09/01/2016 à 8:34
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Vous m'avez fait pleurer comme une madeleine... C'est très juste ce que vous écrivez, Merci !

à écrit le 08/01/2016 à 22:54
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Fière d'être Française, avec une majuscule c'est mieux non? Dommage pour la forme.

le 10/01/2016 à 10:15
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Non, c'est un adjectif.

le 10/01/2016 à 10:16
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Non, c'est un adjectif.

à écrit le 04/01/2016 à 20:02
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remarquable et très interpellant. Merci et bravo à ces héros de l'ombre.

à écrit le 04/01/2016 à 11:23
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bravo, beau texte

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