Ubérisons la vie politique !

Les politiques, trop nombreux et trop souvent inefficaces, coûtent cher à la France. Comment les remplacer ? Eléments de réponse...
En premier lieu, la classe politique ne « fait » rien : sa disparition ne créerait donc aucun vide d'exécution. La production de normes publiques (lois, règlements, circulaires...) est en effet toujours le fruit d'une administration.

Les débuts de la primaire des Républicains - les vrais, ceux des Etats-Unis - peuvent sembler folkloriques. Ils n'en donnent pas moins à réfléchir. Les trois leaders des sondages à ce stade, Donald Trump, Ben Carson et Carly Fiorina, mettent en avant un point commun dans leur campagne : ils ne sont pas des professionnels de la politique. Ils n'ont pas passé plusieurs décennies à Washington ou dans des exécutifs locaux. Et c'est, de l'avis des observateurs, une cause majeure de leur succès en ce début de campagne pour la présidentielle 2016, même si ce phénomène pourrait être éphémère. Tandis qu'une armada de politiciens chevronnés peinent derrière eux pour exister, pénalisés justement par leur pedigree.

Dans plusieurs pays européens, on l'a vu, des forces nouvelles ont émergé brusquement sur la scène politique, en réaction aux partis établis. En France également, plusieurs études d'opinions démontrent la lassitude à l'égard de la classe politique, si peu renouvelée. Pour autant, le système politique français, particulièrement cartellisé et verrouillé, ne laisse quasiment aucune chance à des forces alternatives. Il est donc peu probable que des initiatives de la sorte rencontrent un succès notable ici, comme on l'a vu avec l'échec de « Nous citoyens ».

Un oligopole protégé

Il faudrait en fait penser de manière radicalement nouvelle l'organisation de la vie publique à l'ère numérique. Car le système actuel est tout sauf efficient. En France particulièrement, s'organise un univers de purs professionnels de la politique qui, dès leurs études, s'emploient à devenir des militants-apparatchiks. Pour ne cesser de l'être que par la force des choses, au crépuscule de leur vie active. Ils constituent un oligopole très protégé, où l'on s'organise pour ne faire et ne vivre que de la politique, entre mandats reconductibles sans limite quand on est gagnant, planques dans des emplois plus ou moins fictifs (cabinets d'exécutifs locaux, structures parapubliques...) pour surmonter les périodes de défaites.

Les plus astucieux et organisés ont privilégié une profession d'accompagnement de leur carrière politique, si possible libérale et leur permettant de faire fructifier leurs relations et de monnayer leur potentiel électif - bref, du trafic d'influence soigneusement blanchi. Tous ne connaîtront quasiment jamais le vrai travail, celui des contraintes de tout un chacun dans le reste du monde professionnel : développer et entretenir une expertise, satisfaire les exigences d'un management, produire surtout les « délivrables » concrets qu'exigent la quasi-totalité des métiers.


Parasites de la vie publique

Non, les politiques se complairont d'abord dans les jeux d'appareil - le fondement de leur ascension puis de leur maintien en position -, se préoccuperont de leur visibilité médiatique, survoleront de réunions en réunions des dossiers dont ils ne prendront jamais la mesure de la complexité et de la profondeur. Pour une poignée de parlementaires consciencieux et opiniâtres, l'immense majorité n'a pour ainsi dire aucune maîtrise de quelque sujet que ce soit, et le niveau de leurs échanges est souvent consternant.

Bref, cette classe politique n'apporte strictement aucune valeur ajoutée à la vie publique. Il est même fréquent qu'elle la parasite : il n'y a qu'à voir la propension des politiques à parader sur les lieux de telle catastrophe naturelle ou fait divers, mobilisant des services publics qui auraient mieux à faire. Ou encore observer leurs positionnements tactiques dans des débats qui paralysent l'action des administrations, celles-ci étant suspendues à des décisions qui ne viennent jamais, quand il ne s'agit pas de choix absurdes in fine. Sans compter les cas trop nombreux de captations de biens publics à leur profit.


Légitimité usurpée

Cette entropie globale générée par la classe politique est d'autant plus critiquable que celle-ci s'estime intouchable, au nom d'un principe sacré, l'onction du suffrage universel. Mais ce consentement du peuple est totalement vicié. D'une part, car il n'a pas un libre choix, compte tenu des mécanismes oligopolistiques à l'œuvre déjà rappelés. D'autre part, parce qu'une large proportion des électeurs, souvent majoritaire, préfère se tenir à l'écart du scrutin, dans l'abstention ou le vote blanc. Enfin, car le droit de vote s'exerce le plus souvent par défaut, sans signifier le moindre mandat explicite au vainqueur, et parce qu'il s'agit d'un vote bloqué sur un ensemble de propositions et prérogatives, et non d'un choix circonstancié sujet par sujet. La légitimité des élus à diriger, nommer, légiférer et réglementer est donc largement usurpée.

Mais cet état de fait est-il une fatalité ? La démocratie étant, selon la formule churchillienne, le pire des systèmes à l'exception de tous les autres, peut-on la faire évoluer ? Les outils dont nous disposons aujourd'hui devraient nous ouvrir un vaste champ de possibilités. Et aussi utopique que cela puisse paraître, une démocratie profondément renouvelée sans classe politique est à notre portée.


Se reposer sur l'administration ?

En premier lieu, la classe politique ne « fait » rien : sa disparition ne créerait donc aucun vide d'exécution. La production de normes publiques (lois, règlements, circulaires...) est en effet toujours le fruit d'une administration. Or ces administrations sont bien davantage parasitées que managées par leurs tutelles politiques. S'en débarrasser serait certainement un bienfait pour leur productivité, d'autant que la haute administration est en France de bonne qualité. Oui, je le sais, la détestation des énarques est très répandue, notamment du fait de leur emprise sur la vie politique, qui constitue un détournement de la vocation de leur formation.

Pour autant, ils sont indubitablement bien formés et aptes à diriger efficacement des organisations complexes. D'ailleurs, il faut le constater, ils réussissent fort bien à la tête de nombreuses grandes entreprises privées, car ils sont justement adaptés aux problématiques qu'elles rencontrent - finalement, la bureaucratie privée n'est pas si éloignée de la bureaucratie publique... Et les quelques exemples de restructurations réussies d'administrations ont généralement en commun un groupe de hauts fonctionnaires ayant eu les coudées franches pour réformer et moderniser, en dépit des vicissitudes politiques.

Bien entendu, ces administrations ne décident pas toutes seules, et il conviendrait donc d'imaginer des processus de décision alternatifs à ceux, bien que très inefficaces et aux nombreux effets pervers, procédant des sphères politiques. J'imagine l'angoisse de beaucoup à l'idée d'une sphère administrative livrée à elle-même, mais il ne s'agirait évidemment pas de cela. Ainsi, tous les corps de contrôle, les inspections, et bien entendu la magistrature auraient un rôle majeur à jouer dans un tel système. Et nul doute que sans intervention ou pression politique, ils l'exerceraient bien plus librement et fermement que dans notre système actuel. L'exercice budgétaire pourrait par exemple être beaucoup plus efficient qu'aujourd'hui, en s'organisant autour de feuilles de route exigeantes en matière de bonne gestion et d'efficacité, sous la surveillance de la Cour des comptes.

S'inspirer de la Suisse

Surtout, au cœur de cette nouvelle architecture, il y aurait naturellement place pour des mécanismes participatifs très élaborés. Après tout, la révolution numérique n'a aucune raison de s'arrêter à la porte de la vie publique. Et qu'on n'invoque pas les risques en matière de sécurité à propos de votes électroniques, alors que la déclaration et le paiement des impôts devront bientôt s'effectuer intégralement en ligne ! Le vrai défi serait de mettre en place un système du type des votations suisses, pour que les citoyens, mais aussi les administrations confrontées à des choix politiques difficiles à départager d'un seul point de vue technique, puissent soumettre des questions au suffrage universel (sous conditions classiques, du type nombre minimum de pétitionnaires et validité de la proposition vérifiée par une Cour suprême), tout en assurant l'intelligibilité de ces scrutins, la faisabilité et la compatibilité des choix effectués.

Mais rien d'inaccessible en la matière, et la démocratie suisse, justement, où le pouvoir politique est finalement assez modeste et décentralisé, tout en accordant une vaste place à l'expression directe des citoyens, constitue de bonnes prémices de notre modèle. Il va de soi, d'ailleurs, que celui-ci supposerait ab initio une administration singulièrement amincie et une décentralisation claire et effective, sans les doublons et la confusion actuels. Des fonctionnaires en charge par exemple des plans d'occupation des sols et des permis de construire, le tout sous le contrôle de juridictions vigilantes, représenteraient ainsi un énorme progrès par rapport aux tripatouillages de tant d'élus locaux.

Des nominations consultatives

Les nominations pourraient être également assurées de manière bien plus satisfaisante qu'avec la surcouche politique dont nous sommes aujourd'hui accablés : plus de copinage partisan, de promotion éclaire due au seul passage en cabinet, de conflit d'intérêts flagrant ou de rotation massive à chaque alternance. Au lieu de cela, un processus au mérite, collégial et transparent, avec notamment, pour les plus hautes fonctions, un « vetting » à l'américaine, c'est-à-dire une scrutation rigoureuse du parcours et des compétences des candidats, par une juridiction ou un collège expert, et dans le même temps par les médias. Et cette méthodologie concernerait bien entendu les postes de représentation, par exemple pour la diplomatie - il en faut bien.

C'est en l'espèce ce qui est en place à l'échelle de l'Union européenne, et il n'y aurait donc pas de difficulté à le dupliquer et à l'améliorer au niveau d'un pays. Comme il se doit, la rotation régulière des représentants et dirigeants serait assurée en amont, afin qu'il soit impossible de se maintenir indéfiniment en responsabilité, au risque de bâtir un système personnalisé et parfois corrompu... : toutes choses qu'engendre hélas trop souvent notre système politique.

Des gains multiples

Aux bienfaits nombreux liés à la disparition d'un jeu politique écrasant et pourtant stérile, qui empoisonne littéralement la société et accapare de trop nombreuses ressources (plus de 500 000 élus en France !), au soulagement de ne plus avoir affaire à une caste indéboulonnable et inefficiente, s'ajouteraient les gains liés à l'absence d'agitation décisionnelle, facteur de perturbation des agents économiques. Comme l'avouait récemment la fondatrice de Leetchi à l'adresse des parlementaires : « si vous pouviez ne plus rien faire, à la limite ce serait mieux ! ». Il est d'ailleurs attesté que les phases de gouvernement expédiant les affaires courantes - par exemple dans l'épisode de l'absence de gouvernement en Belgique en 2011 - ou de majorité introuvable sont souvent bénéfiques pour l'économie d'un pays. L'incertitude et l'imprévisibilité politiques sont des maux dont une telle révolution nous débarrasserait.

Alors naturellement, l'utopie peut sembler trop énorme. Et « l'ubérisation », expression désormais appliquée jusqu'à la nausée à tout et n'importe quoi, paraître illusoire. Mais ce serait désespérer de la capacité des citoyens à reprendre le contrôle de leur destin collectif. Si un saut quantique vers un monde sans classe politique s'avérait hors de portée, alors allons-y par étapes. Pour commencer, en interdisant tout cumul de mandats et surtout en limitant très rigoureusement leur renouvellement dans le temps, afin de briser la politique de carrière. Puis en restreignant drastiquement le nombre d'élus et les cercles connexes, comme les cabinets des exécutifs nationaux et locaux ou les parachutages dans des organismes publics, qui seraient réservés à des administratifs. Enfin en réduisant les degrés de liberté, les pouvoirs de nomination et d'engagement budgétaire, tout en renforçant l'autonomie et les pouvoirs des corps de contrôle et de la justice. Peu à peu, il sera alors possible de sortir nos sociétés de leur infantilisation par des monarchies électives.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 15/10/2015 à 0:52
Signaler
Tout politique nul

à écrit le 14/10/2015 à 7:28
Signaler
Excellent article ... qui ne dit ce que la plupart des français savent déjà ! Mais peut-on demander à une caste d'inutiles et coûteux représentants théoriques du peuple de saborder le navire de croisière sur lequel il navigue ?

à écrit le 13/10/2015 à 18:37
Signaler
Il faut interdire le cumul des mandats ou cumul chef de, le cumul des chèques de fin de mois, pas plus de deux fois le même mandat et pas plus de quatre mandats dans sa vie politique. Il faut que l'élu démissionne de la fonction publique, en fin d'e...

le 21/10/2015 à 3:23
Signaler
Merci pour les + de 60 ans. Autrement dit on est bon pour la casse? Pourquoi pas nous euthanasier dans ce cas ?

à écrit le 13/10/2015 à 17:43
Signaler
superbe analyse de notre vie politique et peut être pas si utopiste que ça , si vous créez un parti sur cette ligne de réforme j'adhère !

le 21/10/2015 à 3:32
Signaler
Pourquoi un parti? La France est une, il faut simplement qu'elle se bouge... L'important c'est le projet et les idées qu'il véhicule... Union & Mouvement 2017(Union&Mouvement2017 sur twitter) attend que chacun y prenne sa place. Pas de clivage....

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.