L'inquiétant Monopoly des terres agricoles

Par Eric Walther, directeur adjoint de la rédaction de La Tribune.
Copyright Reuters

Les Anglo-Saxons appellent cela le "land grabbing", l'accaparement des terres agricoles, le plus souvent par des investisseurs étrangers. Le phénomène n'est bien sûr pas totalement nouveau : qui ne se souvient du bon vieux "temps des plantations" ? Mais il a pris une tout autre dimension ces dernières années avec l'explosion de la demande en ressources pour produire des agrocarburants et surtout la crise alimentaire mondiale de 2007-2008. Celle-ci a rappelé la fragilité d'un écosystème qui n'arrive déjà pas, aujourd'hui, à nourrir près d'un milliard d'êtres humains. Une prévision résume à elle seule l'enjeu de la bataille qui se livre sans grande exposition médiatique : la production agricole devrait augmenter de 70% pour que l'on puisse alimenter convenablement les 9 milliards d'habitants que comptera la planète en 2040. De quoi attiser l'appétit des pays en manque de terres pour subvenir à leurs propres besoins (Chine, Corée, pays du Golfe...) et bien sûr d'investisseurs en tout genre. La FAO estime d'ailleurs que 36% seulement des terres arables sont effectivement cultivées, soit 1,5 milliard d'hectares sur un total de 4,2.

C'est donc une gigantesque partie de Monopoly qui est en train de se jouer. Une petite sélection des dernières statistiques collectées par la très efficace ONG Grain illustre l'universalité de cette folle course : 12 milliards de dollars ont été dépensés l'an dernier par des investisseurs étrangers dans l'achat de terres en Australie ; 800.000 hectares ont filé ou sont sur le point de le faire au Mali ; la municipalité de Tianjin, petite métropole de 13 millions d'habitants au nord de Pékin, vient de signer un contrat de 10 millions d'euros en Bulgarie pour pouvoir cultiver maïs, tournesol et fourrage sur 2.000 hectares autour du village de Boynitsa à deux pas de la frontière serbe.

Au total, les surfaces en cause sont impressionnantes : 40, 50 et même 60 millions d'hectares pour certains (soit plus que la superficie de la France) auraient été achetés ou loués au cours des deux dernières années, dont plus des deux tiers étaient situés en Afrique subsaharienne. L'imprécision de ces chiffres témoigne de la confusion régnant dans ce Monopoly sans règles du jeu ou presque. Opacité des transactions, doutes sur les objectifs réels des acquéreurs (fonds souverains, multinationales de l'agroalimentaire, et maintenant fonds d'investissements ou même hedge funds), diversité des droits fonciers (quand ils existent)... le phénomène est complexe, protéiforme, incontrôlable. Et souvent absurde. Les géants indiens de l'agroalimentaire ont mis la main sur des milliers d'hectares en Ethiopie pour y cultiver du riz destiné à l'exportation. Une Ethiopie ravagée par la famine.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 26/12/2011 à 10:04
Signaler
Les rapports du Conseil d'Analyse Statégique modèrent le pesssimisme ambiant. Lire: http://www.strategie.gouv.fr/content/note-de-veille-n%C2%B0-182-juin-2010-pour-des-investissements-agricoles-responsables

à écrit le 26/12/2011 à 9:08
Signaler
Comme le montre l'article ci dsssous, le prix des terres agricoles est très faible en France contrairement à ce qui est souvent dit. http://www.ifrap.org/Prix-des-terres-agricoles-en-France,11824.html

à écrit le 24/12/2011 à 15:15
Signaler
En France, les communes n'ont-elles pas la main pour désigner ce qui est ou ce qui n'est pas terre agricole, et ne peuvent-elles reprendre à tout moment la main sur une terre agricole non cultivée ?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.