Les idées ? Il y a des maisons pour ça...

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Par Jacques Rosselin, directeur de la rédaction de La Tribune.

"La tolérance ? Il y a des maisons pour ça !", disait Claudel. On pourrait en dire autant des idées qui aujourd'hui ont déserté leurs espaces naturels, partis politiques, journaux ou sites Internet, et se réfugient dans une poignée de lieux plus douillets. Absorbés que sont les politiques par leurs électeurs et par la com, rongées que sont les rédactions par les plans d'économies et l'obsession de l'actu en temps réel, ils sous-traitent la réflexion, l'analyse, le recul, la pensée... Il suffit de lire un quotidien, y compris celui-ci, pour comprendre : l'analyse et l'opinion y ont leur rond de serviette, en fin de journal, dans des pages bien identifiées, comme si par contraste les pages d'actualité devaient s'en dispenser, au nom de la sacro-sainte séparation entre les faits et les commentaires... Ce partage des tâches n'est pas souhaitable, tant dans le domaine politique que dans celui de l'information. Tout d'abord, il assèche ceux qui sous-traitent en confiant le débat à ces structures de défaisance. Ensuite, il pose in fine la sempiternelle question à propos des émetteurs d'idées : qui parle ? Pour les partis politiques, tout comme les journaux, ces brillants esprits ne sont pas réellement des sous-traitants puisqu'ils ne leur coûtent rien. Mais alors qui les financent ? Certes, les montants évoqués pour les budgets annuels des think tanks français varient entre 300.000 et 3 millions d'euros par an, alors qu'aux États-Unis ou en Allemagne ils peuvent être cent fois supérieurs. Reste que la question fâche. Dominique Reynié, le médiatique patron de Fondapol, en a récemment fait la démonstration, confronté à la curiosité d'un journaliste de « Télérama » : « Qui êtes-vous pour me questionner sur notre budget ? (...) Je vous demande de sortir ! » Selon le journaliste, « le think tank de Dominique Reynié, Nicolas Bazire et Charles Beigbeder est cofinancé par des multinationales comme Veolia, Suez ou EDF. Ces dernières subventionnent également la Fondation Jean-Jaurès, proche du PS. Quant à l'Institut Montaigne, il compte parmi ses quatre-vingts mécènes EADS, Capgemini, Total, Areva,... qui financent aussi, à gauche, Terra Nova ». Les problématiques sont bien les mêmes dans ces deux pôles du débat citoyen que sont les médias d'informations et les organisations politiques. Si l'on veut éviter le piège de la pensée conforme ou celui du lobbying, il va falloir clarifier nos modèles économiques. Et se réapproprier la production des idées.